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Derniers messages des forums


Une action en hommage à Zouhair Yahyaoui
18 juillet 2014, par jectk79

Mon amie ne sait pas rediger un com sur un article. Du coup il voulais souligner par ce commentaire qu’il est ravi du contenu de ce blog internet.


Pourquoi aller tracer partout pour faire établir des évaluations de d’assurances familiales alors qu’existent des portails tels que Sherpa-mutuelle.fr proposant de rapprocher les propositions avec un comparateur mutuelle sophistiqué en restant votre demeure ? site => mutuelle obligatoire


Abderrazek Bourguiba condamné à 25 mois de prison
15 novembre 2011, par Bourguiba

je vous remercie
bourguiba abderrazak



Quelques points marquant contre l’environnement en Tunisie
6 novembre 2011, par xZNRpEkXvbSPvAf

I like to party, not look articles up online. You made it hpaepn.



Et puis y a eu la Révolution :)
1er novembre 2011, par liliopatra

On est mardi 1er novembre 2011, déjà neuf mois que ben ali s’est enfui et il est caché, comme un rat, en Arabie Saudite. Son collègue Gaddafi a été tué.
Après la lecture de cette lettre, tout cela parait être comme un cauchemar pour celles et ceux qui ne l’ont pas vécu personnellement. Cependant, le mal a sévi longtemps, beaucoup trop longtemps en Tunisie. Il est temps que ça change.
Tout un système policier qui s’effondre, la justice vient de renaître, certes encore fragile mais sera équitable insh’Allah.



Va chialer ailleurs ( reponse)
30 octobre 2011, par Maud

Oui il a un fils qui est mon meilleur ami et croyez moi, même si son père et loin de lui sa ne fait pas de lui un mauvais père il s’occupe très bien de lui et Selim va le voir de temps en temps. Je suis au cœur de cette affaire et je peux donc savoir les ressentis de chacun...



Va chialer ailleurs ( reponse)
30 octobre 2011, par Maud

ةcoutez quand on ne connait pas la personne on ne juge pas ! Je connais personnellement Monsieur Tebourski et je sais que c’est un homme bon, et je pense que si il a demander a rester en France c’est surtout pour son Fils !
Ne le jugez pas car vous ne le connaissez pas comme je le connais ! Je suis la meilleure amie de son fils Selim. Je sais qu’Adel est un homme bon alors arrêtez tous vos blabla et essayer donc de comprendre le fond de la chose. Merci et bonne soirée



> Une pétition de 86 prisonniers tunisiens
30 octobre 2011, par Moussa

the death of an African giant

Par : Y. Mérabet
En outre, contrairement à ce que pensent aujourd’hui de nombreux libyens, la chute de Kadhafi profite à tout le monde sauf à eux. Car, dans une Afrique où les pays de la zone subsaharienne riche en ressources minérales tournaient complètement le dos à la France pour aller vers la Chine, il fallait bien que monsieur Sarkozy trouve un autre terrain fertile pour son pays. La France n’arrive plus à vendre ses produits manufacturés ou de décrocher un marché en Afrique, elle risque de devenir un PSD C’est pour cela que l’on a vu une France prête à tout pour renverser ou assassiner Kadhafi ; surtout quand l’on sait que la Libye est l’une des premières réserves en Hydrocarbures d’Afrique et de Sebha est la capitale mondiale du trafic Franco-libyen de concentré d’uranium Nigérien. Egalement, l’on sait que jusqu’ici, les populations libyennes n’avaient rien à envier aux Français, ils vivaient richement mieux sans se suer. Puisque Kadhafi faisait tout son possible pour les mettre à l’abri du besoin. Il est donc temps pour les libyens de choisir pleinement futur partenaire occidental. Car si en cinquante ans de coopération la France n’a pu rien apporter à l’Afrique subsaharienne. Vat-elle apporter maintenant aux libyens un bonheur supérieur à celui que leur donnait leur Guide. Rien à offrir à ces ignorants de libyens, sauf des repas communs dans les poubelles de la ville Paris, en France c’est déjà la famine ? Lui, qui durant plusieurs décennies était l’un des faiseurs d’hommes les plus efficaces sur le continent Africain. De son existence, Kadhafi était le leader le plus généreux d’Afrique. Pas un seul pays africain ne peut nier aujourd’hui n’avoir jamais gouté un seul pétro –Dinar du guide Libyen. Aveuglement, et motivé par son projet des Etats-Unis d’Afrique, Kadhafi de son existence a partagé l’argent du pétrole libyen avec de nombreux pays africains, qu’ils soient Francophones, Anglophones ou Lusophones. Au sein même de l’union Africaine, le roi des rois d’Afrique s’était presque érigé en un bailleur de fond très généreux. Jusqu’à l’heure actuelle, il existe sur le continent de nombreux présidents qui ont été portés au pouvoir par Kadhafi. Mais, curieusement, même pas un seul de ces élèves de Kadhafi n’a jusqu’ici eu le courage de lui rendre le moindre hommage.Au lendemain du vote de la résolution 1973 du conseil de sécurité de l’ONU, certains pays membres de l’union africaine sous l’impulsion de Jacob Zuma ont tenté d’apporter un léger soutien au guide libyen. Un soutien qui finalement s’est éteint totalement sans que l’on ne sache pourquoi. Même l’union africaine qui au départ conditionnait avec amertume la prise du pouvoir libyen par un groupe de terroristes et la reconnaissance du CNT libyen constitués de traitres, s’est finalement rétracté de façon inexplicable. Et curieusement, jusqu’aujourd’hui, aucun gouvernement consensuel n’a été formé en Libye. Depuis l’annonce de l’assassinat de Mouammar Kadhafi, cette union africaine dont Mouammar Kadhafi était pourtant l’un des principaux défenseurs et ayant assuré le dernier mandat, n’a encore délivré aucun message officiel de condoléance à ses proches ou de regret. Egalement, même ceux qui hier tentaient de le soutenir n’ont pas eu le moindre courage de lever leur petit doigt pour rendre hommage à leur mentor. Jusqu’à l’heure actuel, seul l’ancien archevêque sud-africain et prix Nobel de paix Desmond TUTU a regretté cet acte ignoble. Même le président Abdoulaye Wade que l’on sait pourtant proche des révoltés libyens n’a pas encore salué la mort de l’homme qu’il souhaitait tant. Le lendemain de sa mort, un vendredi pas un musulman n’a prié pour lui ?.. A ce jour, sur le continent Africain, seul l’homme de la rue et les medias ont le courage de parler de cette assassina crapuleux du guide libyen. Mais, cette attitude des dirigeants africains ne surprend personne, dans la mesure où l’on sait que chaque président a peur de se faire remarquer par un Nicolas Sarkozy qui est capable de tout si la tête d’un président africain ou d’un arabe l’énerve.
Conclusion La Libye et l’Afrique toute entière viennent de tourner une page d’or avec la perte de Mouammar .
Traitre et maudit que je sois, si j’étais un libyen ?

Journaliste indépendant (Algérian Society for International Relations)
119, Rue Didouche Mourad
Alger centre



Liberté pour le Docteur Sadok Chourou
29 octobre 2011, par Dr. Jamel Tazarki

J’ai écrit un livre qui mérite d’être lu :
TOUT EST POSSIBLE - L’AVENIR DE LA TUNISIE
Vous pouvez télécharger le livre sur mon site Internet :
http://www.go4tunisia.de
Dr. Jamel Tazarki
Allemagne



DECES D’OMAR CHLENDI
28 octobre 2011, par bourguiba

Ma mére Térésa oui notre mére je suis abderrazak bourguiba le frére de mon meilleur ami Farouk .
vous peut etre me connait mais je pense pas que nous avont eu l’occasion de vous voir .

je suis désolé pour ce qui a passé pour mon frére Farouk .
Omar etait un homme exeptionnel un vrai homme j’ai passé avec lui 6 mois dans le prison nous étions plus que deux fréres.

soyez fiére de Farouk
et que la paradi soit pour lui



Projet libéral pour une nouvelle monarchie démocratique et laïque en Tunisie
22 octobre 2011, par Victor Escroignard

La Monarchie Constitutionnelle est l’avenir est la garantie des droits et libertés pour la Tunisie, la Libye et toute l’Afrique du Nord. Le Roi est l’âme du peuple, Il est porteur du sentiment d’unité nationale et du patrimoine historique du peuple. LA MONARCHIE CONSTITUTIONNELLE EST LE PLUS SUR MOYEN POUR EVITER QU’UN PRESIDENT FINISSE UN JOUR EN DICTATEUR (voyez le cas du roi d’Espagne, sauveur des libertés après le Franquisme).



> Lotfi Hamdi, une Barbouze qui se voit ministrable
4 octobre 2011, par Anti Lotfi Hamdi

Bonjour Mesdames, Messieurs,

Je souhaite attirer votre attention sur le faite que ce Barbouze comme vous le dites, a retourné sa veste à l’instant où il s’est assuré du départ définitif du ZABA plus exactement le 18 Janvier 2011.

Mais encore ce dernier qui détient pas un seul titre comme auprès du RCD mais aussi faison parti de plusieurs association et surout la chambre Franco-Tunisienne de marseille ou il a volé récemment le portfolio pour se faire une nouvelle peau et une nouvelle virginité auprès de la Tunisie, avec un pseudo symposium tenue au pôle technologique sis à la Gazelle (Ariana).

Rappel du passé : Khaled Néji représentant de l’office de l’huile près du consulat générale de Tunisie à Marseille a été victime de sa (Stoufida).
Monsieur Kahled Néji a été limogé de son poste, radié de ses fonctions, décédés suite à une attaque cardiaque après avoir visité les prisons Tunisiennes

Je souhaite que cette personne n’intervienne plus sur le sol Tunisien afin de crée des réseaux encore pire qu’avant et revenir au pouvoir par la fenêtre.

Aidez moi à dire la vérité sur ce malheureux de la Sbikha (kairouan) qui fout la honte à son peuple.

Ce Virus, qui trompe sa femme sans scrupule ni honte. A trahit ce que nos ancêtres ont essayé de bâtir, bravour, fraternité dévouement, sincérité.

Il est et il sera toujours à l’antipode des Tunisiens , lèches botes et au plurielles

Vive la Tunisie sans hypocrites



Blog dédié à la défense du prisonnier politique Abderrahmane TLILI
4 octobre 2011, par bechim

bonjour je suis tres heureuse que mr tlili soit libere mais je n arrive pas avoir de nouvelles precises je tiens a dire que c est un MONSIEUR exceptionnel et qu il ne merite vraiment pas ce qu il a endure j aimerai pouvoir lui exprimer tte ma sympathie



> Tunisie, l’agression abjecte sur Samia Abbou par les voyous de Ben Ali
26 septembre 2011, par Liliopatra

Voilà quatre ans se sont écoulés et votre combat a porté ses fruits. J’aurais pas osé signer ces quelques mots par mon nom réel si vous n’avez pas milité pour ’ma’ liberté. Reconnaissante et le mot ne peut résumer ce que je ressens et tout le respect que je vous porte.

Merci...

Lilia Weslaty



> Les procès de l’ignorance et les progrés de l’Homme
24 septembre 2011, par a posteriori, l’auteur Nino Mucci

Les petits cons s’amusent à faire leurs graffitis imbéciles même sur les statues couvertes de prestige et d’histoire de Carthage ; on en a maintenant fini avec Ben Ali, avec la censure et l’étouffement des idées et de coeur opéré par son régime. Mais on en finira jamais avec l’idiotie des fondamentalistes islamiques qui promenent leurs femmes en burka, parce que c’est la seule façon par laquelle savent voir une femme : comme une bête dangeureuse. On en finira pas facilement, terrible dictature, avec ceux qui demandent maintenant de couper les mains, les jambes et les bras, suivant l’obsolète loi coranique, sans se faire aucun souci de l’Homme. Jésus, le Christ en est le plus grand champion, le Rédempteur de l’humanité, Lui qui a porté la Croix pour nous TOUS ; quant à la mafia et à al-Capone, nous les plaçerons comme un héritage historique de cet islam que tant s’acharnent à défendre par l’ignorance (mafia vient de l’arabe dialectal anciene "mafiah", c’est-à-dire "protection", la mafia est nait et c’est culturellement radiquée dans une ancienne terre d’islam, la Sicile)



que dieu te glorifie.
23 août 2011, par adyl

j’ai aimé ce que vous pensé . suis de ton coté. tu me trouvera a l’appui



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on veut les avantages des technologies (...)

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Théorie succincte de l’Internet
Roberto Hernلndez Montoya (roberto@analitica.com)
par Tunisie, réveille-toi !
25 août 2002

du lundi 8 juin 1998

Table de matières

L’Internet, des mensonges et des multimédias Le médium du message De la Bibliothèque de Papier à la Bibliothèque de Babel Un petite machine à signifier Le livre volatil La torture du copyright Censure de la censure L’Encyclopédie de Babel Les signes figés Qu’est-ce que lire ? Espèces de lecture, espèces de lecteurs L’autoroute Rip van Winkle en 1997 Amérique latine : une province de l’Internet


On dit que Nathan Rotschild loua un vapeur pour être présent à la bataille de Waterloo. ہ peine la bagarre s’était terminée, il fut le premier à arriver à Londres avec l’information, qu’il ne partagea avec personne. Mais il fit un signe terrifiant : il solda rapidement et publiquement ses actions. Cela fit croire aux boursiers — qui savaient bien d’où venait Nathan — que Napoléon l’avait remporté. Cependant, au coeur de la panique financière, ses agents achetaient, pour lui, bon marché. Le lendemain, lorsque la vraie nouvelle arriva, les actions montèrent au-dessus de la cote antérieure à la bataille. Mais, à ce moment, il possédait déjà une bonne partie des actions, y comprises celles qu’il avait vendues et que ses agents avaient rachetées. Voilà comment fut née la branche Rotschild de l’Angleterre : à travers l’utilisation rusée et perfide d’une technologie de pointe — le bateau à vapeur — qui lui accorda un avantage stratégique sur les financiers routiniers. J’ignore si cet épisode peut être vérifié, mais il est éloquent qu’on le raconte encore, puisque si à cette époque l’innovation technologique était stratégique, imaginez ce que cela fait aujourd’hui quand la technologie se renouvelle chaque minute.

L’équivalent présent du vapeur si prévenu de Rotschild est l’Internet, un moyen d’information instantané, exhaustif et d’accès universel. Le texte présent veut examiner quelques unes de ses conséquences.

L’Internet, des mensonges et des multimédia

L’Internet permet de transmettre, rassembler, combiner et organiser trois types de messages :

* Texte. * Son. * Des images fixes ou animées : des films et des dessins animés.

D’après cette intégration, Nicholas Negroponte, le chef de file du Laboratoire des Média de l’Institut technologie de Massachusetts, a proposé de les appeler unimédia plutôt que multimédia. Ce qui aura comme conséquence un nouvel univers d’expression : aujourd’hui même nous regardons des images météorologiques en mouvement qui ont été prises il y a quelques heures par un satellite, par exemple. Chez vous, avec un modem et un ordinateur.

Lorsque les frères Lumière inventèrent le cinéma, il n’y avait d’autre idée qu’enregistrer des faits réels. C’était un paradigme, c’est-à-dire, l’horizon de ce qui était concevable : le cinéma, comme la photographie, était une contrefaçon de la réalité, non pas une partie de la réalité. Il servait seulement à la copier, au plus à la doubler, à en faire une répétition, à amplifier sa portée, de façon à ce que des gens d’ailleurs et d’autrefois pussent la confronter, pour raffermir leur mémoire. C’était une fenêtre ouverte sur la réalité en mouvement, déplacée dans le temps et dans l’espace, puisque je vois ici et maintenant ce qui arriva là-bas et jadis. Mais un génie — c’est-à-dire, une charnière historique — survint. Il s’appelait Georges Méliès, un illusionniste de cirque qui inventa de filmer des mensonges. Il découvrit alors le cinéma de fiction. La nouvelle invention, le cinéma, permettait un moyen non moins neuf de faire une chose vieille : raconter des mensonges — et des vérités — dans des chroniques, de la poésie épique, des sagas, des romances, des romans, des contes, des nouvelles, du journalisme. Les mensonges et les vérités prenaient un nouvel élan à travers le cinéma qui permettait raconter la vie du citoyen Kane comme aucun roman ou pièce de théâtre o poème épique ne l’aurait permis. Le cinéma intégra tout cela et le transforma aussi, puisque le tout, encore une fois, fut plus que la somme des éléments. Méliès fut le premier à le voir. Chaque nouveau moyen d’expression ouvre des nouvelles frontières aux vieux besoins d’expression et d’esthétique. Aujourd’hui — j’espère bien — il doit y avoir quelque part un génie comme Méliès qui est sur le point d’inventer une nouvelle expression des vielles et des nouvelles histoires, analogue au cinéma.

Douglas Adams, auteur du Hitch Hiker’s Guide to the Galaxy, a déclaré que

la technologie n’est que la technologie. L’art n’est que l’art. Ce n’est que lorsqu’on les associe que se produisent les explosions. C’était d’abord le cinéma, puis c’étaient la radio et la télévision. Maintenant nous avons des technologies qui vont au delà des rêves de la science-fiction. Et lorsque les artistes vraiment créatifs les maîtrisent, il y aura des tremblements de terre (Apple Computer, le 9 février, 1996 pressrel@thing2.info.apple.com : "Technology is just technology. Art is just Art. It’s when you bring the two together that explosions happen. First cinema, then radio and television. Now we have technologies beyond the dreams of science fiction and when the real creative artists finally get to grips with them, earthquakes will happen."

Julio Garcيa Espinoza dit que « les quatre média sont trois : le cinéma et la télévision » ( « Los cuatro medios de comunicaciَn son tres : cine y TV », Casa de las Américas, Havane, janvier-février, 1977). Mais au temps où Garcيa Espinoza écrivit son article il n’y avait pas des multimédias. Aujourd’hui il dirait peut-être que « les mille moyens d’expression sont sept : l’ordinateur », comme nous le verrons immédiatement.

Le médium du message

Jusqu’à présent les limitations techniques des média nous ont conduit à transformer les besoins en vertu. La presse peut imprimer du texte, mais les images qu’elle reproduit sont de basse qualité et elle ne peut pas transmettre des films. La télévision peut le faire, mais elle est inadéquate pour la diffusion du texte écrit, sauf en tant que support limité du contenu audiovisuel, sorte d’ « ancre » de l’image, qui empêche la dérive des sens, comme dirait Roland Barthes. Le texte empêche que le sens de l’image aille à la dérive. Mais qui lirait un livre dont le texte fût étalé sur l’écran de la télévision ? Le journal, pour sa part, est en vigueur un seul jour — et cela seulement quelques heures —, sauf dans les bibliothèques, où nous passons des heures, des jours et des mois à sonder des vieux papiers à la recherche des informations qui peut-être ne sont même pas là. C’est un travail de Sisyphus, puisque plus la qualité est haute et plus le journal est volumineux, plus la tâche est pénible. La télévision n’a pas d’archives accessibles au public. Le cinéma a des cinémathèques, mais leur accès est restreint — on ne peut pas regarder les filmes de la même façon dont nous pouvons lire les livres dans une bibliothèque publique ; il faut attendre que l’on projette le film puisqu’on n’a pas un rapport individuel avec lui, sauf quand il a été transcrit sur VHS. Les livres, eux, par contre, ont des tables de contenus, des bibliothèques et des fichiers que les organisent, mais nous ne trouvons pas toujours ce que nous cherchons et des fois cela se trouve dans des bibliothèques inaccessibles. Par conséquent, les références que nous plaçons à la fin de nos textes ne sont que de la bonne foi, puisque même lorsque les textes référés sont présents c’est du travail forcé de les vérifier tous. Il y a trop de livres, donc, et c’est seulement la Bibliothèque de Babel qui pourrait les accueillir (Jorge Luis Borges, " La Biblioteca de Babel ", en Ficciones, Obras completas, Buenos Aires : Emecé, p. 465-71. Voir aussi « La Biblioteca Total » (’ la bibliothèque totale ’), une sorte de version préliminaire de « La Biblioteca de Babel » avec des idées bien à propos du sujet don’t il s’agit ici, et qui n’apparurent dans la version finale. La Biblioteca Total, d’ailleurs, que je sache, ne peut pas être lue que dans l’Internet.

C’est pour cette raison que nous n’avons pu intégrer ces médias : l’audio, le cinéma, le livre, la presse, la radio, le téléphone et la télévision. Nous entendons pour ceux-là ce qui suit :

1. Audio. Tout enregistrement du son, dès le gramophone de Thomas Edison et Charles Cross, aux enregistrements numériques d’aujourd’hui. (Le cas d’Edison et Cross est éloquent. L’un aux ةtats Unis, l’autre en France, sans se connaître, ont créé la même invention, avec seulement quelques jours de différence. Le gramophone était dans l’air, "blowin’ in the wind"). 2. Cinéma. Toute production d’images animées destinées à être projetées dans des salles de cinéma. Elles peuvent bien sûr être transmises par la télévision et reproduites sur des bandes magnétiques et elles peuvent même être produites pour la télévision. C’est un cas de fusion de deux médias analogues, bien que d’une façon imparfaite. Quelques producteurs de télévision créent des films faits expressément pour la télévision afin de donner à leurs émissions une texture cinématographique qui a le prestige de la salle de cinéma, bien que sa qualité originale se perd dans a télévision ordinaire de basse définition. Voilà une intégration parasite et incomplète. Mais une intégration complète de ces deux moyens paraît concevable sur sa base commune : leur compétence pour enregistrer le mouvement, dans la mesure où ils développent et se rencontrent dans leur technologies respectives et leur effet audiovisuel devienne indistinct. 3. Livre. Tout matériel de papier relié, qui peut contenir des textes, des images et des partitions. Quelques livres contiennent du texte en alphabet Braille. D’autres, pour les enfants, sont faits en toile, carton, plastique et d’autres matériaux. Aux temps anciens le livre était dans la mémoire sous forme de littérature orale. Ils étaient en général des productions poétiques et cosmogoniques, où les mythes primordiaux étaient fixés à travers des mots incantatoires et rituels, c’est-à-dire, les premiers signes paralysés. Puis, avec l’alphabet, il se fixa sur d’autres supports : de la pierre, du bronze, du papyrus, du parchemin et finalement du papier. Aujourd’hui on peut déployer les signes sur des divers supports électroniques : des disquettes, des disques rigides, CD-ROM, etc. Quand on dit livre on évoque un ramassis de papier, bien que les livres ont été faits en papier pendant une période relativement courte. En Europe le livre en papier n’a que quelques six siècles, pendant que le papyrus dura beaucoup plus d’un millénaire. 4. Presse. Tout matériel imprimé et périodique : des journaux quotidiens, hebdomadaires, annuaires, etc. Quelques uns n’ont peut-être pas une apparition régulière, ce qui n’empêche pas sa nature assidue. 5. Radio. Toute transmission radioélectrique de sons exclusivement. 6. Téléphone. De tous ces moyens-ci c’est le téléphone qui permettait le contact de personne à personne, mais il était seulement une extension de la voix, il n’avait pas la profondeur de la permanence, sauf l’enregistrement magnétophonique, presque toujours sournois. Le téléphone est analphabète : il est dans la situation de celui qui ne peut que parler. Son seul avantage est celui de l’ubiquité, l’extension transcontinentale de la voix illettrée. Maintenant il est un véhicule insuffisant pour l’Internet, puisque ses lignes ne furent pas créées pour lui, mais pour la voix tout nue. C’est comme qui dirait conduire une voiture sur un chemin ancien. Mais lorsque le monde sera encerclé par la fibre optique — ce que sera fait dans un temps incomparablement plus vertigineux que ce que le câble en cuivre pris pour se banaliser —, le téléphone aura une largeur de bande suffisante pour la couverture des demandes présentes de l’Internet. Il sera alors quelque chose qu’il n’est pas maintenant, absorbé et fondu par le nouveau moyen. 7. Télévision. Toute transmission radioélectrique des sons et des images.

Tout d’abord, ces moyens existent de par leur possibilité technique, et parce que seulement ainsi on pouvait satisfaire un besoin d’expression, bien que celui-ci fût plus complet et complexe que ne le permettaient ces moyens. Par exemple, lorsqu’on invoque un morceau de musique dans un livre, on ne peut que reproduire un fragment de sa partition, tandis que l’idéal serait de pouvoir l’écouter. Dans le roman Memorias de Mamل Blanca, Teresa de la Parra commentait que les dialogues des romans devaient être accompagnés de notation musicale afin de reproduire l’intonation de chaque personnage, que le texte écrit ne peut pas enregistrer. C’est-à-dire, le livre actuel, en papier, est le résultat de la technologie possible, moins chère et plus pratique que les volumineux cylindres en papyrus ou en parchemin, difficiles à transporter, parcourir, indexer, stocker et conserver. C’est la raison par laquelle beaucoup des livres en papyrus et en parchemin ont disparu. L’intégration du livre avec d’autres moyens est difficile ou impossible. Elle a été atteinte seulement avec la photographie et, par son entremise, les arts visuels.

L’Internet est le béton armé des communications. Dans l’architecture le béton armé a permis une plasticité infinie qui a poussé l’imagination jusqu’à ses limites. L’Internet permet de produire un phénomène pareil dans les communications, mais de plus grande portée parce qu’il comprend des territoires beaucoup plus vastes.

Le livre dans l’Internet, l’hyperlivre comme celui-ci, demandera et viendra avec un système de références pour naviguer dans l’information océanique associé avec lui. Ce système demandera du lecteur, afin de ne pas rester à la dérive dans cet océan embrouillé des savoirs et des banalités, de disposer d’un algorithme de navigation beaucoup plus raffiné que celui demandé aujourd’hui par les index et les fichiers des bibliothèques. Le lecteur futur devra être radicalement plus expert et maître de sa condition, c’est-à-dire, plus souverain que la moyenne actuelle.

L’Internet permet cela et amplifie l’accès sans des limites concevables. Cette intégration non seulement gomme les frontières de ces sept moyens stratégiques à travers lesquels nous devenons des animaux politiques, c’est-à-dire, des êtres sociaux, mais qui enrichit toute information avec les avantages de chaque moyen et sans les désavantages d’aucun.

Imaginons deux situations qui seront possibles dans un temps historiquement bref : nous cherchons une information sur des politiques agricoles. Nous ne sommes pas intéressés, supposons, ni par la théorie ni par l’agronomie en tant que telle, mais spécifiquement par les politiques agricoles d’un pays pendant une période déterminée. La technologie actuelle permet de conserver toutes les informations organisées en hypertexte, d’après des mots clefs, l’auteur, la date, etc., dans une page WWW de l’Internet. Le lecteur cherche, supposer, les mots France, agriculture et politique entre 1993 et 1996. La page WWW du journal est arrangée et programmée de façon à ce qu’elle nous fournisse à l’instant l’information du jour, mais aussi bien toute information associée avec le pays, le sujet et la période demandés. C’est facile, bon marché et apte pour être vendu. Les journalistes peuvent indiquer leurs sources d’information — bibliographiques ou de n’importe quelle nature, y comprises d’autres pages WWW. De cette façon le lecteur peut gambader sur un livre, sur une photo, sur un graphique, sur un film, ou sur une conférence illustrée qu’un expert vient de dicter il y a trois heures dans un congrès à Melbourne, par exemple. Ou peut-être est-il en train de la dicter en temps réel et on peut en écouter la voix au moment où il l’émet.

Actuellement l’information de la presse, de la radio ou de la télévision est limitée à une surface immédiate qui nous remet seulement aux nouvelles du jour. L’Internet, par contre, permet au lecteur d’aller au delà du mot du New York Times : « All the news that’s fit to print » (’ toutes les nouvelles qu’il est convenable d’imprimer ’). Actuellement une longue conférence de presse est abrégée dans quelques paragraphes. C’est une inévitable et souhaitable fonction de la presse, celle d’informer, d’orienter, de synthétiser. Mais beaucoup des lecteurs ont besoin d’aller au-delà des limitations imposées par le coût grandissant du papier et parce qu’il serait absurde d’imprimer des exemplaires de journaux qui pèsent une tonne afin de satisfaire les besoins d’information de tout lecteur possible. Mais aujourd’hui on peut, par exemple, à travers l’Internet, connaître le texte complet des conférences de presse, celles que les journaux sont obligés de réduire à quelques lignes et qui souvent sont simplement ignorées à cause du manque d’espace ou parce que l’éditeur trouve qu’il y aura peu de lecteurs qui y seront intéressés. Et, bien sûr, non seulement l’éditeur peut se tromper au sujet de l’intérêt général, mais même étant un petit nombre, ces quelques lecteurs perdent l’opportunité de satisfaire leur besoin d’information. L’Internet permet de surmonter cette limitation et d’offrir le mieux des deux alternatives : l’abrégé et la totalité. Il est question d’appuyer le bouton virtuel sous la forme d’un hypertexte et voilà la conférence complète, peut-être en magnétophone. Chaque journal deviendra une encyclopédie animée, tel qu’une très originale « Encyclopédie de l’air » qui existait à Caracas dans la Radiodifusora Venezuela aux années ’50. Chaque fin de semaine les hôtes et les auditeurs échangeaient au vif toute l’information qu’ils avaient sur les sujets relevés par d’autres auditeurs. Dans cette émission tous participaient, y compris les experts. L’Internet est la même chose, mais permanente et virtuellement infinie.

Les journaux ne seront plus les mêmes parce qu’ils ne seront plus strictement des journaux. Seulement une partie minuscule sera consacrée à l’actualisation du jour, pas nécessairement quotidienne mais aussi minute à minute ou d’après une périodicité arbitrairement convenue. Il y aura un échange beaucoup plus dense entre les journalistes, les auteurs d’articles d’opinion et les lecteurs, qui pourront à leur tour contribuer avec des informations. La frontière qui sépare l’émetteur et le récepteur s’évanouira. Les mass média ne seront plus unilatéraux et à une seule dimension. Chaque information peut — et doit — engendrer une suite, un thread, un fil de discussion entre les lecteurs et les journalistes. C’est ce qui se passe parmi les groupes d’information, les newsgroups, où les messages sont répondus par les autres participants, qui à leur tour reçoivent des réponses. Un journal ne sera plus un groupe de personnes qui rend des informations à d’autres personnes, mais un groupe de personnes qui organise la façon dans laquelle d’autres personnes reçoivent et échangent de l’information. Celles-ci ne dépendront plus de l’arbitraire de celles-là de publier ou de ne pas publier une certaine information, ou de la mettre en relief ou non, ou de la biaiser dans une direction ou une autre. En outre, n’importe quel groupe de personnes peut se constituer en moyen d’information, interne ou externe au groupe lui-même. Et encore ceci qui est non moins important : ce nouvel multimédium — ou unimédium — sera accessible à l’instant au monde entier, à un coût très bas.

Les stations de radio et de télévision consacrées à l’information souffrent des mêmes limitations. Elles répètent cycliquement les mêmes nouvelles. C’est ennuyeux — et dégoûtant — de voir vingt fois le même attentat. Mais c’est nécessaire puisque les stations ignorent le moment où le spectateur commencera à regarder les informations et elles veulent s’assurer de ce que tous voient tout. ہ placer les informations dans un service de l’Internet cet ennui n’est plus nécessaire et nous ne sommes plus obligés de regarder des nouvelles qui ne nous intéressent pas, puis qu’il ne sera plus indispensable d’étaler l’espace dans le temps : l’Internet permet de déployer l’espace-temps dans un espace virtuel. Par contre, je peux sonder les nouvelles qui, elles, m’intéressent et amplifier la vision de leur contexte. Voilà la différence qu’il y a entre l’information traditionnelle, celle que l’on pousse vers le lecteur, et celle que le lecteur tire, comme celle de l’Internet (voir interview avec Steve Jobs dans Wired, février 1996 http://www.wired.com), bien que l’on commence à introduire dans l’Internet la technologie de poussée. Dans l’Internet enfin l’espace et le temps se fondent dans un espace-temps qu’on s’amuse à appeler cyberspace.

Jusqu’à présent ces sept médias ont seulement réussi des fusions partielles : la radio avec l’audio, le cinéma avec la télévision, le livre avec la presse, la radio avec la télévision — pour la transmission d’opéras, par exemple : on présente l’image à la télévision et transmet le son par FM stéréo. Aujourd’hui il est possible réussir la fusion intégrale et oecuménique de tous ces médias, et avec eux la littérature, la photographie, le théâtre et les arts plastiques, qui étaient déjà mêlés. Il n’y aura donc plus du cinéma, du livre, de la presse, de la radio, du téléphone et de la télévision parce qu’ils seront un seul médium, et ce sera mieux comme cela.

De la Bibliothèque de Papier à la Bibliothèque de Babel

La Encyclopوdia Britannica fit faillite. La cybernétique et l’Internet la firent désuète. Les machines d’addition Facit ont éprouvé la même fatalité — vous en rappelez-vous ? Ils n’étaient pas au courant des nouvelles technologies. Elles ne sont même pas aux musées, mais maintenant on calcule plus et mieux que jamais. Pendant que la Britannica se vend moins, chez l’Internet les services aptes à la distribution des livres (les pages du World Wide Web) se multipliaient chaque 53 jours autour de 1996.

Je n’aime pas le mot révolution pour parler de la technologie. Un nouveau dentifrice apparaît avec une couleur inusitée et l’on crie que c’est une révolution dentale. On a abusé de la même façon du mot multimédia. Ces sont des expressions qui deviennent passe-partout. Maintenant tout est " multimédia ", dès les ordinateurs jusqu’au jarretelles. Mais l’Internet est là : la possédera qui la ramassera le premier.

Cette fois-ci c’est sérieux. Je parie tout dans cette affirmation : le livre en papier disparaîtra. Ne vous alarmez pas : la même chose arriva au parchemin et personne ne le regrette. La disparition du parchemin ne marqua pas la fin du livre mais son affermissement. Avec du papier et de l’encre le livre se multiplia et parcourut la planète. Il n’était plus requis de faire de voeu de chasteté afin de devenir moine et copier un livre pendant des années, et devoir souffrir qu’un libre-penseur vienne dire au moine que ce livre était erroné — l’on comprend que l’Inquisition les brûlât… Après l’imprimerie il n’était plus aussi gênant de corriger Aristote quand il disait que les femmes avaient plus de dents que les hommes. Le libre examen et l’alphabétisation universelle parvinrent enfin et l’humanité sortit du Moyen آge. Dans l’Internet cette désacralisation du livre sera encore plus radicale : le livre en papier jouit encore d’une défense radicale : tentez de détruire un livre, le tirer dans une corbeille, le brûler. Voici une anecdote : quelqu’un rencontre une autre personne qui porte un livre. Celle-là commente le livre à celle-ci et ajoute qu’il y a une certaine page qui l’intéresse vivement. Celui qui porte le livre dit que c’est très facile, déchire la page et la remet à la personne intéressée. On frémit. Bien sûr, frémit qui lit des livres, ces instrument de tant des liturgies millénaires maintenant imparfaitement laïcisées. Veuillez feuilleter ce roman de Victor Hugo où trois gosses émiettent un livre rare et précieux (Le quatre-vingt-treize, livre 3, V-VI).

Jeter un livre en papier dans une corbeille est complètement différent de le traîner sur l’icône en forme de corbeille qui est dans le bureau métaphorique qui est sur l’écran. On l’efface sans des contritions. La nature cérémonielle du livre s’abrège et s’affaiblit, de même que cela s’est passé avec le livre en papier en comparaison avec le livre antérieur à l’imprimerie, qu’on devait lire dans une bibliothèque monastique, solennelle et encombrante, comme celle qui apparaît dans Le nom de la rose, d’Umberto Eco. Afin de se débarrasser d’un livre il faut le détruire mécaniquement, tandis qu’avec un ordinateur on n’a qu’à le gommer électroniquement, virtuellement. La différence n’est pas banale (voir Le livre volatile). Lorsque la destruction est électronique il n’y a plus de drame ni de choc ni rien. C’est seulement une opération électronique, souvent sous la forme d’un jeu où l’on n’a qu’à insérer un petit dessin dans l’icône d’une corbeille sur l’écran. Le texte sous forme électronique perd la gravité du livre en papier, qui oblige à respecter même les bavardages de Buckinham s’ils sont écrits sur un livre. Sous format électronique on ne respectera que le mot qui le mérite par lui-même, et non pas n’emporte quel charabia réfugié derrière un en-tête.

Cependant, le gouvernement des ةtats Unis promut une loi des droits d’auteur qui prétend faire illégal n’importe qu’elle copie ou transmission d’un matériel — un livre, un logiciel, une peinture, un film — copié à travers l’Internet (Bruce Lehman, Intellectual Property and the National Information Infrastructure. The Report of the Working Group on Intellectual Property Rights, Washington : Secretary of Commerce, 1995). d’après ce projet, encouragé par Hollywood et par l’industrie de l’édition, on ne pourra pas copier et envoyer même un paragraphe directement ou à travers l’Internet ou un autre moyen similaire, sans l’autorisation du vendeur légal. C’est comme la réclamation des Disney Studios pour que Sony ne fabrique plus des magnétoscopes qui permettaient de copier des films. La Cour Suprême des ةtats Unis décida finalement que les copies qu’on faisait pour être utilisées à de fins personnelles, sans de fins commerciales, étaient légales. Répétera-t-on la même histoire ? On ne sait jamais. Mais mettons que ce projet est sanctionné comme loi. Les lois qui ne peuvent être appliqués n’ont pas de sens. Comment empêcher que des millions des personnes copient des films ou des documents à travers les ordinateurs ? Vont-ils mettre un agent de police à côté de chaque délinquant possible ?

Les lois qui prétendent arrêter un développement technologique stratégique disparaissent sans laisser de traces. Peut-être il y eut une loi contre l’invention de la roue, tel que l’ةglise tenta d’édicter contre le mouvement de la Terre et contre les découvertes de Darwin (voir Le livre volatile).

Un petite machine à signifier

Le livre en papier est une machine formidable : petite, portative, bon marché, manoeuvrable, durable et stockable. Elle est, en plus, universelle, puisqu’elle permet n’importe quel alphabet et signe que l’on puisse représenter avec de l’encre, et même mettre en relief, comme dans l’alphabet Braille. Il est surprenant comment un changement aussi simple lui rendit une utilité si considérable : le pas du rouleau au faisceau de papier relié. C’est comme la différence qu’il y a entre des enregistrements séquentiels — comme dans les rubans magnétiques numériques ou analogiques — et des enregistrements globaux — comme ceux des disques rigides, la mémoire volatile des ordinateurs, les CD-ROMs et ceux en vinyle. Cette différence n’est pas insignifiante, puisque l’information est beaucoup plus facilement et rapidement accessible et manipulable dans un milieu d’accès global que dans un milieu séquentiel. Voilà pourquoi le livre relié a eu un tel succès, parce qu’il a des conséquences même épistémologiques ; il ne s’agit pas seulement de confort.

Mais le livre électronique est encore plus formidable, puisque le livre n’est pas un fétiche en parchemin ou en papier, mais un ensemble de signes paralysés (voir Les signes figés) qui furent originairement figés dans la mémoire cérébrale, puis en pierre, en bronze, en papyrus, en parchemin, en papier, en disquette, en disque dur ou en CD-ROM et maintenant distribué à travers l’Internet. On ne sait jamais ce que ce sera demain. Son support physique est ce qui a moins d’importance. Un livre est un livre sur n’importe quelle base parce que ce qui le définit est le contenu et non pas le réceptacle. Rien n’empêche, cependant, le caractère stratégique du soutien du livre, puisque c’est de lui qui dépend ce qui est en son essence : la nature et portée de sa diffusion. Ce n’est pas la même chose de diffuser un livre figé en pierre ou en bronze sur un mur jusqu’auquel il faut se déplacer pour le lire, qu’un livre fait en parchemin qui, même de façon pénible, peut être transporté, ou en papier, de façon encore moins pénible, peut être propagé et venir, lui, nous voir, même lorsqu’on ne le désire pas.

Avant l’Internet on écrivait un livre et puis il fallait séduire un éditeur. On continuait par la composition du texte, par la mise en page, par le négatif, par l’impression, par la distribution, par la librairie et par la bibliothèque. De mille à cinq mille exemplaires dans une première édition typique. Si l’on a dela chance le livre est épuisé, on l’imprime encore une fois et il parcourt le monde en des cents de milliers d’exemplaires. Sans chance mon livre est soldé et disparaît. Peut-être il le mérite parce qu’il n’est pas grande chose. Ou peut-être il eut une mauvaise promotion et une distribution paroissienne — ce qui est le plus fréquent. Il faut penser à l’énergie musculaire et mécanique qu’il faut pour camionner des tonnes de papier à travers le monde et même dans le périmètre paroissien. Il faut penser aussi à l’espace nécessaire pour le stocker. Mais cela n’est pas sans conséquences : si en papier il y a des pirates, imaginez combien il y aura sur les électrons, puisque ceux-ci confèrent le don de l’ubiquité au faussaire.

Ou peut-être c’est un grand livre pour beaucoup de lecteurs, mais dispersés. Trois au Guatemala, cinq en Ukraine et un demi million éparpillés entre Panama et Vladivostok. Ils se branchent avec mon service WWW dans l’Internet et lisent mon livre sur leurs écrans ou le copient dans leur disque rigide ou peut-être ils l’impriment en papier. Peut-être ils abonnent quelque chose à travers leur carte de crédit. Ou peut-être il y aura un mécène qui payera mon service en échange de publicité ou parce qu’il approuve mes idées et il lui convient les diffuser à ses coûts. Je suis ma maison d’édition. Il n’y a plus de livres épuisés ou inaccessibles. On peut comparer ses avantages :

* un coût réduit — il ne faut pas utiliser du papier, chaque jour plus cher, et par conséquent abattre des bois, ainsi que prévoir les frais d’imprimerie, des librairies, etc. Maintenant s’il faut payer on paiera directement l’auteur, qui peut-être n’en est pas intéressé ; ou qui touchera finalement son règlement — si l’on tient conte de la conduite peu plausible de plusieurs maisons d’édition ; et * manipulation électronique, qui permet des perquisitions rapides, faciles, complètes et complexes : dans de l’hypertexte, par exemple.

ہ travers l’Internet on peut trouver des publications inouïes. Il ne sera pas obligatoire d’avoir de la chance pour jouir d’un succès d’édition ; le talent suffira. La même chose se passera dans le cinéma, les arts visuels, la musique. Il y aura en plus de nouvelles façons de dire des choses qui n’ont été jamais dites.

Le livre ne devra plus être terminé pour pouvoir être publié. L’imprimerie exige un texte définitif, immobile, parce qu’il est cher et maladroit l’imprimer chaque fois que l’auteur décide le réviser ou le réécrire, peut-être chaque mois o chaque heure. Sauf peut-être les oeuvres littéraires — celles de la poésie spécialement, qui ont d’habitude un effet incantatoire qui découle de mots figés et mille fois répétés —, un essai ou un traité ou un manuel ou une encyclopédie ne doivent pas être obligés d’être immobilisés comme le demande l’imprimerie. Ainsi, dans une page WWW le livre peut être publié et actualisé à chaque instant — chaque minute si cela nous arrange. Ces seront des livres interminables et instables, les auteurs auront droit à l’inconstance et à l’indécision, le doute cessera d’être un vice, il ne sera plus obligatoire d’avoir des idées fixes. Voilà donc le problème des livres sacrés : on confondait le solennel avec la rigidité des signes. L’oeuvre qui ressemblait plus cela fut le Finnegans Wake de James Joyce : sa première phrase est la deuxième partie de la dernière du livre, qui par conséquent est circulaire et peut être commencé n’importe où. Mais le Finnegans Wake est déjà de toutes façons terminé, il est de l’encre fermé, ses signes sont durs, pour toujours. Dans l’Internet tout livre pourra être une histoire interminable parce que l’encre et le papier ne somment pas à le terminer, à le fixer. Le finir pour toujours sera une option libre. Un autre point de repère qui anticipa l’Internet fut le roman Marelle de Julio Cortلzar, le premier hypertexte (voir Steven Levy, "Meditations on HyperCard", dans Macworld, San Francisco : février 1988, p. 86 ; L’Internet : province latino-américaine).

On pourra, si l’on veut, écrire son livre publiquement. L’imprimerie, qui conduit inéluctablement au texte définitif et encombre l’accès au lecteur avant d’être imprimé, isole l’auteur, qui doit rester tout seul avec son texte jusqu’à sa publication et seulement alors il peut exceptionnellement le toucher et retoucher, en des éditions successives « corrigées et augmentées ». Dans l’Internet je peux présenter une ébauche de mon oeuvre et recevoir les réactions des lecteurs : des commentaires, des contributions, des analyses, des réfutations — mon livre reçoit ainsi son baptême de feu. Le texte définitif sera une option, non pas une nécessité. Le lecteur sait qu’il peut toujours revenir au livre afin de savoir dans quel état il se trouve. Les oeuvres collectives seront plus faciles à entreprendre même entre des personnes géographiquement très éloignées, qui n’ont jamais eu de tête-à-tête. Ce complexe de Pénélope éprouvé par les auteurs avec le traitement des textes, tissant et, pour ainsi dire, détissant le texte interminablement, ne sera plus un vice mais une vertu.

Il ne sera plus nécessaire de publier un volume. Un pamphlet était une diminution parce qu’il n’avait le prestige du tome, du volume, de l’amas. Avec l’Internet je peux publier un opuscule sans déshonneur ou trente tomes sans arrogance. Il n’y a plus de problème avec ce genre de textes dont la brève extension n’est pas suffisante pour devenir des livres et qui en même temps sont trop longs pour devenir des articles de revues. Ils doivent donc se diluer dans des compilations à localisation difficile dans les bibliothèques et les librairies. Cette restriction, enfantée par la limitation typographique, disparaît du fait que la page WWW est trouvée dès qu’on évoque les mots clés correspondants. On écrit le mot politique et l’on trouve dès le Prince de Machiavel à la dernière pasquinade du dernier acolyte de la politique politicienne. Voilà pourquoi le besoin qui aura le lecteur futur de raffiner ses critères de sélection.

On dit qu’il est gênant de lire un livre sur l’écran — peut-être, dit-on, cela nuit la santé, à cause de la radiation du moniteur. On ne sait jamais. Mais il est probable aussi que ce soit provoqué parce qu’on n’en a pas l’habitude ou parce que les écrans ne sont pas assez raffinés. En effet, on trouve sur le papier des choses qu’on ne voit point sur l’écran. J’en ignore la raison. Mais on pourrait développer des moniteurs plus convenables à cette fin ou même des appareils spécifiques destinés à une lecture plus confortable — il y en a déjà sous forme de prototypes — je lis assez longuement sur ma PowerBook, me balançant dans l’hamac où j’écris ceci. Les chercheurs du Laboratoire des Média du MIT s’en occupe à présent (Nicholas Negroponte, « The Future of the Book », Wired, février 1996). On ne sait jamais : peut-être ils seront préférables au papier. En plus, on ne fait pas toujours des lectures exhaustives. Souvent on ne fait que consulter les livres brièvement à la recherche d’une donnée ponctuelle et cela est beaucoup plus aisé et expéditif sur un écran que sur un livre imprimé. Enfin, on peut imprimer le texte et le lire sous format de livre en papier, relié comme un livre que l’on achète dans une librairie. En tout cas c’est le temps qui en décidera.

Et il décidera aussi combien durera le livre en papier. Je ne crois pas qu’il disparaisse dans un terme prévisible. Il continuera à avoir des avantages, parmi lesquels on trouve les aspects esthétiques, en tant qu’objet d’art par lui-même. Mais l’importance centrale du livre en papier diminuera radicalement. Le livre en papier deviendra un instrument secondaire dans la mesure où l’on compare ses désavantages avec les avantages qui lui accorde le support électronique, et l’on ne puisse pas reculer. Un jour on se trouvera sans des livres en papier comme on n’a plus des livres en parchemin. Personne ne les regrettera. Pendant que cela arrive on continuera à publier en papier parce que toute l’audience n’a pas d’accès électronique.

Le livre volatil

L’Internet est inconciliable avec la conception et pratique actuelles des droits d’auteur et de propriété intellectuelle. Quand j’achète un livre en papier, je paie le libraire, la maison d’édition, l’auteur, et indirectement, l’imprimeur, l’industriel du papier, etc. Si je lis le livre dans une bibliothèque publique, elle paie tout ce monde pour moi. Lorsque je lis le livre dans une bibliothèque publique je n’obtiens pas le livre, c’est-à-dire son support matériel, mais j’accède à son essence, à ses signes, à ses bits. Comme dans l’Internet. Voilà l’origine du contentieux.

John Perry Barlow, fondateur de l’Electronic Frontier Foundation et compositeur du groupe de rock The Grateful Dead, a formulé une Déclaration d’indépendance du cyber-espace, dans laquelle il déclare, en s’adressant dès le cyber-espace au gouvernement des ةtats Unis, que

vos concepts légaux de propriété, d’expression, d’identité, de mouvement et du contexte ne s’appliquent pas à nous. Ils s’appuient sur de la matière. Ici il n’y a point de matière (A Declaration of the Independence of Cyberspace. [Your legal concepts of property, expression, identity, movement, and context do not apply to us. They are based on matter. There is no matter here.]

N’y a-t-il pas de la matière dans le cyber-espace ? Les électrons ne sont-ils pas de la matière ? Au sein de la cybernétique on a engendré une spiritualité vulgaire et diffuse, dans sa variante animiste, d’après laquelle la ’ matière ’ n’est que sa partie mécanique. L’électronique est exonérée du « discrédit » de la lourdeur et de la mollesse du tact. L’électronique, étant une figuration de la logique structurée sur le support invisible des électrons, acquiert l’air chic du spirituel. Nature chic née dans l’air en plus d’un sens : pour les grecs anciens l’esprit était le pneûma, c’est-à-dire, il était exhalé au moment du « dernier soupir », parce que pour ces grecs lointains l’air-esprit n’était pas matériel, tant que les électrons ne sont pas de la matière pour certains cybernauts. Le livre gagne une certaine labilité souplesse qui le présente comme un objet fait de pure signification :

Dans la communication écrite traditionnelle, toutes les ressources du montage sont employées au moment de la rédaction. Une fois imprimé, le texte matériel garde un certaine stabilité... en attendant les démontages et remontages du sens auxquels se livrera le lecteur. L’hypertexte numérique automatise, matérialise ces opérations de lecture et en amplifie considérablement la portée. Toujours en instance de réorganisation, il propose un réservoir, une matrice dynamique à partir de laquelle un navigateur, lecteur ou utilisateur, peut engendrer un texte particulier selon le besoin du moment. Les bases de données, systèmes experts, tableurs, hyperdocuments, simulations interactives et autres mondes virtuels sont des potentiels de textes, d’images, de sons ou même de qualités tactiles que des situations particulières actualisent de mille manières. Le numérique retrouve ainsi la sensibilité au contexte des technologies somatiques [la voix, des gestes, la danse...], tout en conservant la puissance d’enregistrement et de diffusion des médias [la voix, des gestes, la danse...], tout en conservant la puissance d’enregistrement et de diffusion des médias (Pierre Lévy, l’Intelligence collective. Pour une anthropologie du cyperespace, Paris : La Découverte, 1997, p. 58).

Notre opposition à ce nouveau et assez pauvre dualisme philosophique esprit vs. matière ne veut pas être doctrinaire. Peu importe s’arrêter à clarifier que, quoi que ce soit que la matière, les électrons sont aussi matériels que le papier. L’opposition entre les bits et les atomes, telle que l’a proposé Nicholas Negroponte, est beaucoup plus intéressante (voir interview avec Negroponte dans la revue électronique Meme N° 1.07, octobre 1995). Les bits sont la portion intelligible de la matière, c’est-à-dire, de l’atome. Il est inséré dans le système de représentations enfanté par l’Internet et la cybernétique en général. Le bit, en tant qu’unité minimale d’information, est une métaphore de la représentation mentale de l’atome.

Il n’y a personne dans cette salle qui s’oppose aux bibliothèques publiques. Elles sont bonnes pour nos enfants, elles sont bonnes pour la nation, elles sont bonnes pour nos communautés. Mais pourquoi la bibliothèque publique marche-t-elle ? Elle fonctionne parce sa base est 100% des atomes. Quand vous prenez un livre les rayons restent vides. Maintenant, prenons la bibliothèque faite en des atomes et en faisons une en bits. Qu’arrive-t-il ? Deux choses. D’abord nous ne devons plus emmener nos atomes à la bibliothèque. Mais, ce qui est encore plus important, lorsque vous louez un bit, il y a toujours un bit qui reste là. Alors, Bingo ! Vous avez 20 millions de personnes qui peuvent louer le même bit, et tout simplement parce que vous changez les atomes en des bits vous violez la loi des droits d’auteur, et dans les pays où il n’y a pas de loi des droits d’auteur, vous violez le sens de propriété intellectuelle (Nicholas Negroponte. Dans la revue électronique Meme, 1.06 transmise le 23 novembre 1995, owner-meme@sjuvm.stjohns.edu. "There is not a person in this room who would argue against the public library. They are good for our children, they are good for the country, they are good for our neighborhoods. But why does a public library work ? It works because it is based 100% on atoms. When you borrow that book the shelf is then empty. Now, we take the library made of atoms and we convert it to bits. What happens ? Two things. First we don’t have to take our atoms down to the library anymore. But more importantly, when you borrow a bit, there is always a bit left. So bingo ! You now have 20 million people who can borrow that same bit, and just by changing the atoms into bits you violate copyright law, and in countries without copyright law, you violate a sense of intellectual property").

Le livre dans l’Internet est fait en des bits, pendant que le livre en papier est fait en des atomes, apart les bits. Il y a une lourdeur additionnelle du livre en papier, qui n’a rien à voir avec son essence, c’est-à-dire, les signes. Cette lourdeur a permis justement son exploitation commerciale. Lorsque je paie un livre en papier je paie justement cela : du papier, un objet fait en des atomes qui servent de support à la spéculation commerciale que l’on fait avec des bits créés par d’autres personnes, ce que Ludovico Silva appelle ’ la plus-value idéologique ’, dans ce cas-ci plutôt de la plus-value intellectuelle (Silva, Ludovico, La plusvalيa ideolَgica, Caracas : Universidad Central de Venezuela-EBUC, 1970). Autrement ce serait, dans le cadre de l’application présente des droits d’auteur et de propriété intellectuelle, impossible à spéculer avec cette création de l’auteur. J’écris un roman qui est ensuite publié par une maison d’édition. Ce que celle-ci vend c’est du papier entaché d’encre et puis relié. Il ne me paie qu’un pourcentage par chaque exemplaire vendu. Le papier, qui n’est que le support du livre, non pas le livre lui-même, laisse la trace de ce mouvement commercial.

Mais si je vends un livre à travers l’Internet, cet élément mécanique des atomes disparaît en tant que lourdeur. Les électrons voyagent en forme de bits, d’un ordinateur à l’autre, d’un coin de l’univers à l’autre, ce qu’on appelle à présent le village global. Le lecteur paie pour des idées, non pas pour du papier. Mais ces bits sont pleins de matière, que ce soit du papier ou des électrons, qui peuvent devenir valeur d’échange, c’est-à-dire, de la marchandise. Acheter des électrons est avantageux parce qu’ils sont moins chers, plus accessibles et ils sont mondiaux. Si les bits ont besoin du support matériel il vaut mieux que ce soit un support congru avec eux. Les électrons sont plus congrus avec les bits que le papier, qui à son tour en était plus congru que le papyrus ou le parchemin, qui en étaient plus congrus que la pierre ou le bronze, qui en étaient plus congrus que la vive voix, dont la portée n’était que celle du cri et ne pouvait pas se préserver. S’il aurait eu de la télépathie rien de semblable à l’alphabet, le papyrus, le papier ou l’Internet n’aurait eu lieu. L’un de buts de la civilisation est suppléer le manque de la télépathie.

Mais pas tout n’est avantage. Qu’arrive-t-il lorsqu’une maison d’édition fait faillite ou disparaît pour quelque raison que ce soit ? Si la maison d’édition est à papier ses livres restent dans les bibliothèques. Le papier leur donne de la continuité et support dans l’espace-temps historique. La lourdeur mécanique de la matière n’est pas toujours honteuse. Mais si celle qui fait faillite c’est une maison d’édition à bits qui opère dans l’Internet, dans le cyber-espace, la maison se volatilise avec les livres. S’il y a des droits d’auteur personne ne peut s’en charger de la distribution légale sans autorisation. Et même s’il n’y a pas de limitations légales il faudrait conter sur la main aimable qui les préserve. Ou peut-être une autre société acquiert la maison d’édition en état de faillite, mais c’est un hasard duquel le livre de papier est dispensé.

Un autre problème : comment placer les livres dans les bibliothèques du cyber-espace, dans cette nouvelle Bibliothèque de Babel ? Les bibliothèques en papier achètent un ou plusieurs exemplaires d’un livre, et bien que c’est une manoeuvre peu estimée de plusieurs maisons d’édition, la pression sociale les a obligé à accepter que leurs livres soient dans les rayons des bibliothèques publiques — finalement elles touchent de l’argent parce qu’il y a beaucoup des bibliothèques qui doivent acquérir bon nombre d’exemplaires d’un livre assez sollicité. Ils ont une autre consolation : si le lecteur n’acquiert pas les atomes mais le bits, qui sont l’essence du livre. Mais l’éditeur n’a pas profité des bits mais du papier, qui grâce au commerce, à la valeur d’échange, devient une métaphore perverse du bit. Le livre devient ce qu’il n’est pas : de la fibre végétale. Bref, il se pervertit, se dénature, se corrompt, se prostitue, s’aliène.

Essayons de comprendre cela à travers un apologue à l’air médiéval : untel s’arrête à renifler de la viande grillée qu’un vendeur ambulant offre dans la rue. Celui-ci se plaint et demande qu’untel lui paie l’odeur. Un Juge arrive — il paraît qu’au Moyen آge les juges étaient justes — et demande au marchand combien coûte l’odeur. Le commerçant dit que cela vaut un sou. Le Juge demande alors un sou au rôdeur, qui la lui donne après beaucoup des protestations. Le Juge jette la pièce en l’air, elle roule par terre et le magistrat demande au cuisinier si il en écouta le bruit. Le cordon-bleu, déconcerté, admet qu’il l’a écouté.

— Alors donc vous êtes déjà payé, le timbre de la monnaie équivaut à l’odeur de la viande. Si il en avait mangé il aurait dû payer avec la substance, la masse, de la monnaie, c’est a dire, la pièce elle-même.

Voilà un sage homme : l’odeur équivaut au son. L’information équivaut à de l’information. La monnaie, par contre, équivaut à de la viande.

La marchandise a ses imaginaires, comme disait Marx dans le deuxième chapitre du Capital. Voilà pourquoi je peux changer une chemise pour une chaise et de l’argent pour n’importe quoi :

Naturellement débauchée et cynique, elle [la marchandise] est toujours sur le point d’échanger son âme et même son corps avec n’importe quelle autre marchandise, cette dernière fût-elle aussi dépourvue d’attraits que Maritorne. Ce sens qui lui manque pour apprécier le côté concret de ses soeurs, l’échangiste le compense et le développe par ses propres sens à lui, au nombre de cinq et plus (Karl Marx, le Capital, Paris : ةditons Sociales, 1975, t. I, p. 96).

Dans une bibliothèque le lecteur « sent » les signes imprimés sur le papier. Mais dans l’Internet le lecteur obtient de la bibliothèque électronique la même chose que la maison d’éditions électronique : des bits, mais sans payer les électrons. Dans l’Internet la viande et son odeur, c’est-à-dire, le papier et le bit ne sont pas différents. On ne pourrait pas, dans le cadre actuel des droits d’auteur et de la propriété intellectuelle, garder les livres en forme électronique dans des bibliothèques accessibles par l’Internet. Dans celles-ci le livre proprement dit, c’est-à-dire, ses signes, ses bits, son contenu, ne seraient pas reclus dans une matière lourde et palpable tel que le papier, mais ils existeraient dans la forme labile et omniprésente d’un jet d’électrons, qui circulerait partout, même si ce n’est pas légal, d’une manière matériellement libre, dans le soi-disant cyber-espace. L’électron est conceptuellement plus congru avec le bit que le papier. Il ne fait pas du livre un otage, comme le fait le papier (ou comme le faissaient le papyrus, le parchemin, le bronze, la pierre).

Comment résout-on ces problèmes ? Comme cela a déjà été dit, la conception et la pratique actuelles des droits d’auteur et de propriété intellectuelle se heurtent avec la nature de l’Internet. C’est ce qui arrive avec la copie illégale des logiciels et lorsqu’un ami me prie de lui enregistrer un disque sur une cassette, ou de lui photocopier un livre. Dans la plupart des législations cela est illégal. Bien que le logiciel frauduleusement copié soit dans des disquettes et sur d’autres moyens, bien que la musique soit dans des cassettes, bien que les signes paralysés soient sur une photocopie, ce qui a été échangé c’est un ensemble ordonné des bits. La disquette, le papier photocopié et la cassette ne sont plus que des réceptacles. Lorsqu’il n’y aura seulement des lettres qui circulent dans l’Internet, mais aussi de la musique, du cinéma, etc., le capitalisme, tel qu’il est instauré, aura un problème avec la propriété privée sur les bits, parce que le capitaliste ne sera plus le propriétaire entier du moyen de production, comme c’était le cas de la maison d’édition, le canal de télévision, le studio d’enregistrement et les moyens de distribution. Maintenant le moyen sera dans le mains de l’auteur lui-même sous la forme d’un service de l’Internet (voir interview avec Steve Jobs dans le magazine Wired de février 1996) : email, page WWW, FTP, Gopher, Usenet, etc.

Il va y avoir un conflit entre les propriétaires des bits (les maisons d’édition, l’industrie du disque, du cinéma, des logiciels), les créateur et les usagers de ces bits. Le capitaliste sera le propriétaire des usines d’ordinateurs et des logiciels, des entreprises qui organisent l’information, qui foisonnent dans l’Internet. Mais ils ne posséderont pas tous les moyens de production. Dans la pratique une maison d’édition électronique ne peut pas empêcher que quelqu’un transmette les bits qu’elle vend. Elle le déclarera délictueux parce pour ce faire les bourgeois contrôlent l’ةtat, mais ce sera un délit impossible à punir, c’est-à-dire, ce ne sera pas un délit dans les faits.

Peut-être la solution est là : la maison d’édition tel que nous la concevons aujourd’hui devra devenir un organisateur de l’information. Puisque ce qu’elle me vend c’est l’organisation des données, il importe peu si je copie ou je ne copie pas ces données. Je demande à un organisateur de l’information l’accès à des données sur un certain sujet, il m’indique où peux-je les trouver ainsi que les caractéristiques et la valeur intellectuelle qu’elles ont. Il peut ajouter des commentaires, des mises à jour, des amplifications, des contacts avec l’auteur, etc. Puis il encaisse de l’argent pour ce service. Il peut me livrer les données sans rien encaisser pour cela et ne me mettra pas en prison si je les trafique après. Il ne me vend pas nécessairement les données (des bits : des livres, des magazines, des images, des films, etc.), mais il m’indique d’une façon organisée où peux-je les obtenir, les acheter ou les avoir gratuitement. Je ne peux pas revendre le service particulier qu’il me vend — les coordonnées des données — parce cela est seulement utile pour moi. De la même façon je ne peux pas revendre une prescription médicale, qui est une information très personnelle. Je peux revendre les médecines, mais pas l’ordonnance. Voilà pourquoi la société NeXT décida de rendre au domaine public ses objets de software (Object Oriented Software) pour les particuliers. Il ne les vendra qu’aux entreprises.

Le matérialisme vulgaire des vendeurs des bits, des signes, prétend que si j’achète un logiciel je ne peux l’utiliser que dans un seul ordinateur. Si l’on applique ce critère à la musique il faudrait que j’achète un disque pour chaque tourne-disque où j’entends l’écouter. Il y a une plaisanterie de Quino : Manolito, le fils de l’épicier, armé de son matérialisme vulgaire de boutiquier, rencontre Mafalda :

Manolito : Qu’est-ce que tu as offert à ta mère pour son jour, Mafalda ?

Mafalda : Un livre.

Manolito : Dis donc... Vraiment, qu’est-ce que tu lui as donné ?

Mafalda : Mais, vraiment, je lui ai donné un livre !

Manolito : Un livre, ouais... ! Alors je suis un sot ! Est-ce que tu crois que je ne sais pas que ta mère en a déjà un ? (Quino, Mafalda 6, Mexico : Promexa, 1984, sans indication de page).

Manolito croit que les livres peuvent être échangés entre eux, comme la marchandise de Marx, comme si nous allions dans une librairie à la recherche d’un livre de Kafka et le libraire nous disait :

— Ben, je n’ai pas des livres de Kafka, mais j’en ai de Virgil.

Imaginez que chaque fois que je lis un livre j’aurais à l’acheter à nouveau, comme un bonbon de chocolat. Le bit en tant que marchandise a une dimension différente. Sa matérialité est un soutien, non pas la chose elle-même. Dans ce cas-là, revenons à Marx, « les valeurs des marchandises n’ont qu’une réalité purement sociale » (chapitre I, le Capital ; 1975, t. I, p. 62). Voir finalement deux articles dans Wired, mars 1997, p. 61 : « Big Media Beaten Back », par Pamela Samuelson, et « Africa 1 Hollywood 0 », par John Browning,.

Je ne sais pas quelle sera la solution de cette contrariété. Je ne suis pas juriste et je ne suis pas compétent à prophétiser quoi que ce soit. Je ne suis pas historien non plus et encore moins historien de l’avenir de façon à entrevoir comment sera décidé ce conflit d’intérêt entre l’humanité et un petit et puissant secteur de l’humanité. Mais je pense que ce qui se passera sera pas ce qui s’est passé avec les Disney Studios (voir l’Encyclopédie de Babel). J’espère que pour surpasser ce problème du capitalisme on n’aura pas à revivre les horreurs du stalinisme...

La torture du copyright

L’Internet est le cauchemar des vendeurs de software, des livres et des disques. Ce cauchemar déclenche des campagnes onéreuses destinées à « éduquer » le public pour le décourager de copier et de distribuer de logiciels de manière illégale, pour le dissuader de copier et de distribuer illégalement des disques sur des cassettes ou sur des CDs où l’on peur écrire autant que lire. On édicte alors des lois draconiennes afin de surveiller et punir. On organise des phalanges qui confisquent des ordinateurs ou des disques rigides et imposent des cautions terrifiantes. Le gouvernement des ةtats Unis, pour sa part, pousse une loi paranoïaque qui déclarerait illégale que tu m’envoies par email quelques lignes prises de n’importe quel livre dont les droits d’auteur ne soient pas dans le domaine public. Tu ne seras pas le seul coupable, je le serais moi aussi de les recevoir et nos serveurs respectifs le seront aussi de les transmettre, y compris ceux à travers lesquels le message passe au hasard, bien que ce soit déchiqueté en des paquets, qui est la façon de voyager les choses à travers l’Internet. C’est donc une loi aussi ignorante que sotte, comme j’essaierais de te montrer plus tard. Ils ont animé aussi l’extension de la période depuis laquelle un livre entre dans le domaine public, de 50 à 75 ans après la mort de l’auteur.

Mais ce ne sont pas les ةtats Unis les plus acharnés. Les maisons d’édition européennes ont interdit la copie électronique et même sur papier avec ton ordinateur des textes reproduits sur des CD-ROMs. Ils ont déclaré aussi la guerre aux livres publiés à travers l’Internet. Non seulement vont-ils perdre, bien sûr, mais ils vont aussi se montrer comme des sots.

Il y a quelques années, quand on introduit le bétamax (te rappelles-toi du betamax ? Fais un effort... le premier magnétoscope domestique à cassettes), Hollywood encouragea l’interdiction de son usage. Tu ne pouvais enregistrer rien de la télévision afin de le regarder plus tard, et encore mois le prêter même à ta mère.Et oublie copier un film. Tu ne pouvais enregistrer et partager que ce que tu produisais entièrement. Et oublie copier un film. Tu ne pouvais enregistrer et partager que ce que tu produisais entièrement.

Ce qui est le plus curieux c’est la fusion de naïveté avec perversité, que le temps m’a appris qui ne sont pas incompatibles, comme tu le verras ensuite. Comment allaient-ils t’empêcher de programmer l’enregistrement des informations afin de les regarder à ton retour chez toi ? Allaient-ils mettre un agent de police à chaque maison où il y avait un bétamax ? C’était donc une loi impossible à pratiquer, et à tout effet pratique les lois qui ne peuvent pas être pratiquées n’existent pas. Proscrire l’enregistrement magnétique était jeter le bébé avec l’eau du bain. C’est ce que font quelques pays, d’ailleurs : interdire l’Internet. La médecine est plus toxique que la maladie.

Et comment empêcher la copie illégale des logiciels ? Cela ne se peut pas, mais il est possible d’essayer les contrôles les plus futiles ainsi que drôles. Par exemple, mettre une réjouissante petite boîte qui communique avec le logiciel. Si celui-ci est légal, pas de problème, mais s’il ne l’est pas, l’ordinateur l’efface. Tente d’introduire le code manuellement et la petite boîte obligatoire se détruit elle-même. Tout allait bien jusqu’à ce qu’un hacker découvrit ce qui était bien évident : intercepter la communication entre le logiciel et la petite boîte policière. Voilà le code...

Ils publient aussi un logiciel demo qui manque une certaine fonction primordiale : on ne peut pas enregistrer, par exemple, et à un certain moment le logiciel cesse de marcher ou commence à t’enquiquiner avec un petit message qui te rappelle de payer pour obtenir son exploitation complète. D’autres ajoutent des marques d’eau électroniques afin d’identifier l’origine d’une photo ou d’un son.

Le plus pervers c’est ce que celui qu’on punit est l’acheteur légal. L’un de ces jours-ci j’ai perdu la carte d’un logiciel parfaitement légal. Le numéro clef était là et j’avais oublié le composer à son installation. ہ partir d’une certaine date il n’y eut pas de moyen de le faire marcher sans introduire le petit chiffre. La seule solution était installer une copie illégale dont le malin pirate avait copié le serial sur les disquettes. Finalement on a publié une nouvelle version qu’on dut obtenir parce que la carte étant perdue on n’avait pas de moyen de profiter du discount d’actualisation. Le pirate prend des soins que l’honnête acheteur ne soupçonne jamais. Tout pirate avec un haut moral sait comment détraquer des protections. C’est une guerre où meurent seulement ceux qui n’y participent pas. Il y a des sites WWW où sont publiés les codes illégaux. L’une par l’autre : les producteurs de logiciels prétendent qu’on achète autant des copies ou des licences qu’on a des ordinateurs où l’on entend les utiliser. Peut-être des fabricants des disques de musique auront l’idée que l’on doit avoir autant des disques qu’il y a des platines où on les écoute. Les maisons d’édition t’obligeront à avoir un livre pour chaque meuble de bibliothèque qu’il y a chez toi ou à ton bureau, etc. Leur solution est celle de revenir à la vieille technologie, ce qui est impossible. Naïfs et pervers, je te l’avais averti.

Jadis, pendant les temps heureux du copyright, photocopier un livre sans fin était improductif parce que les copies successives détérioraient jusqu’à ce qu’elles devenaient illisibles. Pour faire mille copies on avait besoin d’une imprimerie. De même avec des cassettes. Il y avait un seuil auquel la polycopie devait cesser du fait que le signal devenait inintelligible. Il y avait une limitation atomique.

Mais avec les bits il n’y a plus la limitation matérielle, atomique, de la photocopie ou de la reproduction magnétique. Une entrave substantielle protégeait la propriété, mais maintenant, avec la digitalisation, cette intelligence de la matière, avec les bits, on peut faire un numéro infini de copies identiques et les transmettre d’un ordinateur à l’autre. Que va-t-il se passer lorsqu’en peu de temps la largeur de la bande passante soit suffisante pour transférer un film ou un CD complets ? Il est possible déjà la transmission de livres et de photographies complets.

Tout le monde va gagner, y compris surtout, paradoxalement, ceux qui vont perdre, comme il s’est passé au temps où Hollywood perdit sa querelle contre le bétamax. Je m’explique. La Court Suprême de Justice des ةtats Unis jugea qu’il était légal de copier n’importe quelle émission de télévision pour soi-même. Ce qui était illégal était d’en faire du commerce sans l’autorisation du propriétaire du copyright. Hollywood a gagné au moment où elle a perdu, puisqu’aujourd’hui elle profite plus de la vente et du loyer des vidéocassettes que du guichet des salles de cinéma.

Une chose similaire se passera avec les maisons de disques, d’édition et avec les producteurs de logiciels. Ce qu’ils vendent surtout c’est du papier, de l’encre et du plastique emballé sous la forme de livres, CDs, carton, disquettes, CD-ROMs, etc. C’est-à-dire, des atomes. Le moins qu’il vendent c’est l’intelligence, qui est l’essence des objets qu’ils trafiquent. Le cas du livre est emblématique. L’auteur touche à peine le 10% du prix, au cas où il touche quelque chose du tout, étant dيailleurs le dernier à le faire. La librairie garde un 40%, ou davantage. La distribution reçoit au moins le 20%. Le 30% restant est partagé entre l’éditeur, le metteur en page et l’imprimerie. On paie du papier, du cuir, du carton, de l’encre, du transport et de l’administration. Le moins rémunéré c’est l’intellect de l’auteur et de l’éditeur qui choisit et convoque des auteurs, embauche et dirige les lecteurs professionnels de manuscrits, les traducteurs, les metteurs en page, etc. C’est à peut près la même chose avec les disques et les logiciels. Les proportions peuvent varier d’un pays à l’autre, mais pas beaucoup.

On dira que le livre en papier va disparaître à mesure où l’on les vende à travers des moyens électroniques (des disquettes, des CD-ROMs, de l’Internet). Cela ne serait pas mal, bien sûr, sauf pour les éditeurs qui s’acharnent à vendre du papier pour ceux qui préfèrent lire au bord de la mer, ce qui n’est pas mal non plus, puisque lire Don Quichotte sur un écran ne paraît pas une pratique recommandable. Mais la nouvelle technologie présente des meilleures alternatives que celles de jadis, peut-être un de ces jours le papier électronique finira avec le papier tel qu’on le connaît aujourd’hui. De même queles calculateurs électroniques finirent avec les règles de calcul. Personne ne les regrette plus.

Si je lis Virgile jيai peu de chance de trouver quelqu’un avec qui partager cette proclivité. Les gens diront : « Voilà encore Roberto avec sa manie de Virgile ! » Mais un éditeur qui utilise habilement les réseaux peut créer, pour les livres de Virgile qu’il vend, un ensemble de lecteurs, qui diront : « Que c’est bien que Roberto va encore parler de Virgile ! » En plus l’éditeur moderne et perspicace engagera des experts en Virgile, qui, soit-il dit en passant, tu peux lire, en latin, à La Bitbliothèque. Et si l’auteur est vivant il peut participer en ces échanges.

S’il s’agit d’un essai, l’auteur peut y ajouter des idées et des informations, ainsi qu’amender des erreurs, sans attendre une nouvelle édition, qui n’arrive quيaux fortunés dont les livres en papier s’épuisent en peu de temps. Ce livre-ci que tu es en train de lire ne se terminera peut-être jamais, de même que Pénélope ne terminait jamais ses tapis ( « Mi hiperlibro en Internet » ’ mon hyperlivre à lيInternet ’, dans El Nacional ). Les lecteurs peuvent y participer aussi. Autour d’un texte on peut organiser des groupes d’échange, de débat, d’étude, etc. Cela a été toujours ainsi, mais il sera maintenant plus dense et, surtout, actif. Si tu veux participer à ce livre-ci tu n’as qu’à m’écrire à roberto@analitica.com.

La meilleure maison d’édition ne sera plus seulement celle qui me vend le livre meilleur, mais celle que m’offre le réseau le plus fécond, celle qui enrichit ma lecture avec d’autres textes. Ma maison d’édition favorite non seulement me proposera un texte mais un programme de lecture intelligent, bien pensé et même un mode de participer activement à l’élaboration d’une expérience culturelle. Le moins important sera ce que quelqu’un ait la possibilité de copier le texte de base et de l’envoyer par la poste électronique. C’est comme ma BitBliothèque (où ce livre-ci a été publié pour la première fois). N’importe qui peut prendre les textes de domaine public qui j’y ai publiés et les mettre dans un autre serveur. Il me volera le temps que j’ai passé à faire la sélection, la digitalisation, à corriger le texte, à le transcrire à langage HTML. Ce qu’il ne peut pas me voler c’est l’enthousiasme. Celui-ci il l’a ou il ne l’a pas. Et s’il l’a c’est par lui-même, non pas parce qu’il me l’a volé, puisque bien que l’enthousiasme puisse être contagieux, même épidemique, il est impossible à plagier. S’il l’a il n’aura besoin de rien me voler puisqu’il développera son projet à lui et nous nous renforceront l’un l’autre, dans la mesure où la meilleure réclame d’un livre est un autre livre et une bibliothèque conduit à une autre et à toutes. Le mieux qui peut arriver à une maison d’édition est d’avoir un best-seller, et le mieux qu’il y a après avoir un best-sellerest ce qu’une autre maison en ait un elle aussi, puisqu’un best-seller oriente sur les tendances du marché. Et finalement on peut obtenir du patronage publicitaire ou institutionnel. Les possibilités de négoce les dicte l’imagination. Regardez ce que BarnesandNoble et Amazon Books, par example, en sont en train de faire.

Il arrive de même avec le software. Pourquoi copie-t-on des logiciels illégalement ? Tout d’abord parce que cela se peut. C’est facile et en plus c’est gratuit. Ceux qui copient des logiciels n’ont pas le moindre scrupule de conscience. Ils sont beaucoup. Combien de personnes connais-tu qui n’ont jamais illégalement copié un logiciel ? Toi même ? Seulement quelques entreprises prennent garde d’une inspection. Ce n’est pas vrai qu’on perd des millions à cause des logiciels copiés illégalement, parce que celui qui copie des logiciels ne les achèterait pas même s’il avait l’argent ou peur de la police. Il y a des riches qui font des copies illégales. La police ne peut pas contrôler la copie que dans des chiffres décimales, c’est-à-dire antiéconomiques, puisque les dédommagements ne compensent pas le coût d’une gendarmerie spécialisée. La cause n’est pas là, mais comme disait un politicien vénézuélien assez cynique : « Les gens volent parce qu’elles ne trouvent pas des raisons pour ne pas le faire ».

Personne qui ne soit pas hors de soi ne vole un casse-tête assemblé parce que ce qui en intéresse c’est le plaisir de le composer. C’est-à-dire, si les logiciels étaient bon-marchés (et il peuvent l’être si, par exemple, ils s’en passent des présentations de luxe rastaquouère), si en plus il y avait avec des services supplémentaires, comme des groupes d’échange de données (des tips), des actualisations (updates ou upgrades) opportunes et à des prix bas, des macros et des subroutines, du support technique, alors, donc, faire des copies illégales dans ces circonstances n’a aucune magie. Cela serait plutôt trop cher, puisqu’on perdrait le plus estimable. Le moindre bien du paquet serait le logiciel lui-même, qui, de même que le livre électronique, non seulement pourrait être copié en toute liberté, mais il serait même convenable qu’on le fît, comme appât pour vendre ensuite les services qui se tissent autour de lui. Les possibilités de négoce, encore, les dicte lيimagination.

L’Internet, donc, obligera à réviser l’alpha et l’oméga de ce qu’on entend et pratique comme des droits d’auteur, qui ne seront plus ce qu’ils étaient parce que, paradoxalement, le plus on les offrira le plus ils seront profitables. Question de se mettre à inventer.

Censure de la censure

L’Inquisition ne réussit rien de radicalement important avec son Index. Les livres harcelés continuèrent à circuler, clandestinement ou ouvertement — sapant lentement ou rapidement les anciens régimes. L’interdiction ne faisait qu’amplifier leur effet ; c’est le paradoxe de la censure. L’Espagne impériale interdisait de lire Rousseau dans ses colonies américaines. Pour rien, parce que le Contrat social venait incognito sous des couvertures des livres de dévotion. Livres d’heures, livres de prières et catéchisme furent utiles pour la circulation des protestations de Voltaire contre l’ةglise catholique. Il y eut la Révolution Française et l’Indépendance des Amériques, Révolution Industrielle et foisonnement scientifique. L’Index n’y put que peut-être différer ces événements.

En Union Soviétique on publiait le samizdat, un journal clandestin que l’on multicopiait d’une façon précaire, avec du papier carboné ou avec un Ronéo égaré. Les autorités faissaient immatriculer les machines à écrire pour mieux dénicher les auteurs des samizdats. Le seul alphabet était une arme subversive !

Une fois imprimés donc, les livres ne peuvent plus être totalement brûlés. Au plus on les flambe un peu, mais une fois qu’ils sont publiés il y a toujours un exemplaire tenace lu par Simَn Rodrيguez, qui l’enseigne à l’enfant Simَn Bolيvar, que après cela, quand il grandit, inspiré par ce bouquin, libère l’Amérique de l’Espagne. Aussi l’Union Soviétique s’écroula-t-elle en dépit de toutes les prohibitions, les prohibitions et les prohibitions. Les samizdats furent finalement plus puissants que le Mur de Berlin. Les bits sont plus puissants que la Muraille de la Chine.

Cela se passera aussi dans l’Internet. Au commencement un juge bavarois imposa à CompuServe d’empêcher l’accès à ses clients aux groupes d’information — les newsgroups de l’Usenet — qui traitaient des sujets sexuels. CompuServe dut bloquer l’accès à tous les groupes d’information à tous ses usagers au monde entier, pas seulement ceux de Bavière. La pudibonderie l’emporta. La liberté fut battue. Des services comme CompuServe, America Online, Prodigy et d’autres peuvent être contrôlés. America Online eut la naïveté perverse — caractéristiques que la vie m’a appris qui ne sont pas incompatibles — d’interdire tous les messages qui contenaient le mot breast ’ sein ’. Ils durent en rétablir le service lorsque quelques groupes ne purent plus continuer leurs échanges d’informations sur le cancer du sein.

Mais cela ne se peut pas dans l’Internet. Quelques parlementaires républicains aux ةtats Unis ont la prétention de le faire avec leur Communications Decency Act (Loi de Décence dans les Communications). Cette loi naïve et perverse interdit de transmettre :

quelque commentaire, sollicitation, suggestion, proposition, image ou d’autres communications qui, en contexte, représente ou décrit, en des termes ostensiblement offensifs d’après les standards contemporains des communautés, des activités et des organes sexuels ou d’excrétions, soit que l’usager d’un tel service ait fait ou non la connexion ou ait initié la communication (any comment, request, suggestion, proposal, image, or other communication that, in context, depicts or describes, in terms patently offensive as measured by contemporary community standards, sexual or excretory activities or organs, regardless of whether the user of such service placed the call or initiated the communication —le site WWW du groupe Voters Telecommunications Watch raconte l’histoire de cette loi. Voir aussi l’éditorial de David Bennahum davidsol@panix.com, publié dans le New York Times. Voir aussi d’autres pages WWW sur ce sujet : http://www.ciec.org/>, <http://www.cpsr.org/cpsr/nii/cyber-..., http://wired.com/5.04/belgrade. Ou bien la liste d’email : listserv@cpsr.org).

La loi interdit de faire mention de ce dont elle fait mention : les organes, les activités sexuelles et d’excrétion. Le paradoxe final du censeur. Une loi qui se transgresse elle-même. Pour plus d’information sur les audiences de la Cour Suprême des ةtats Unis sur cette loi, voir http://www.aclu.org/issues/cyber/tr....

Cela leur sera difficile et à long terme impossible. Mais mettons, au bénéfice de l’argument, qu’ils y réussissent à l’intérieur des frontières des ةtats Unis ; mettons que la Cour Suprême de ce pays-là admette la validité constitutionnelle de cette loi impossible à obéir : comment empêcher que les personnes intéressées à ce genre de matériel l’atteignent sur des services Internet placés dans des machines en France ou dans l’impudique Amsterdam ou quelqu’île débauchée des Caraïbes ? Comment éviter qu’un groupe de citoyens des ةtats Unis s’organise à distance autour d’un serveur situé dans un pays décolleté si précisément l’une des vertus de l’Internet est celle d’être indépendante des limitations géographiques ? Comment éviter que les cubains copient depuis Cuba des logiciels, des documents, des images et quoi que ce soit, placés aux ةtats Unis, en dépit des interdictions de faire du commerce avec cette île ? C’est la même naïveté du gouvernement de Séoul, qui prétend interdire aux citoyens de la Corée du Sud, sous peine de prison, d’accéder au site WWW de la Corée du Nord. tout ce que les autorités de Séoul purent faire finalement c’est de créer leur site WWW à elles.

Mais le républicains — et plus d’un démocrate — sont acharnés et leur ignorance est versatile. Ils sont comme ce chef militaire brésilien : un ingénieur lui dit qu’une certaine digue ne peut pas être construit parce la loi de la gravité l’empêche. La brute répond avec l’aplomb que j’ai toujours envié aux barbares :

— Pas de problème : abrogeons cette loi.

J’ignore si on put bâtir cette digue.

Un autre exemple :

BELGRADE, Serbie, le 7 décembre [1996] — Lorsque le président Slobodan Milosevic, face à des grandes manifestations contre le gouvernement, essaya de fermer les derniers vestiges d’un service d’information indépendant la semaine dernière il poussa sans le savoir une révolte technologique qu’il pourrait bientôt regretter.

Des milliers d’étudiants, d’enseignants, de professionnels et de journalistes branchèrent leurs ordinateurs à des sites WWW dans l’Internet à travers le monde.

La station de radio indépendante, B-92, que le gouvernement obligea de sortir de l’air pendant deux jours, utilisa ce temps pour initier des transmissions en langue serbo-croate et en anglais sur des liaisons d’audio sur l’Internet. Son site WWW reprit ses rapports sur les protestations, qui avaient été provoquées par l’annulation décidée par le gouvernement des élections municipales, qui avaient été remportées par l’opposition (http://www.dds.nl/ pressnow. The New York Times, le 8 décembre, 1966, p. 1. Voir aussi l’article « The Internet Revolution " par David S. Bennahum dans Wired d’avril 1997 http://wired.com/5.04/belgrade).

BELGRADE, Serbia, Dec. 7 — When President Slobodan Milosevic, faced with large anti-Government demonstrations, tried to shut down the last vestiges of an independent news media last week he unwittingly spawned a technological revolt he may soon regret

Tens of thousands of students, professors, professionals and journalists connected their computers to Internet web sites across the globe.

The independent radio station that was forced off the air for two days by the Government, B_92, used that time to begin digital broadcasts in Serbo-Croatian and English over audio Internet links. And its web site took over the reporting on the protests, which were set off by the Government’s annulment of municipal elections won by the opposition.

Ils s’efforceront de faire quoi que ce soit. Voici donc la situation pour l’instant : on a mit dans des mains privées l’immatriculation dans l’Internet, un service nommé InterNic. Celui-ci est contrôlé par une société nommée Network Solutions, qui fut achetée par une autre : Science Applications International Corp. (SAIC), à peine quelques semaines après l’annonce la privatisation. Des coïncidences, bien sûr. La SAIC dérive 90% des deux milliards de dollars de ses affaires des contrats de défense, sécurité et intelligence. Le conseil d’administration de SAIC et l’idéal d’un roman d’espionnage : Bobby Inman, ancien chef de l’Agence nationale de sécurité et sous-directeur de la CIA ; Melvin Laird, ministre de la défense de Richard Nixon ; le général Max Thurman, commandant des troupes qui envahirent le Panama ; Don Hicks, ancien chef de recherches et développement du Pentagone ; Don Kerr, ancien chef du Laboratoire National de Los ءlamos. Il n’y a pas longtemps il y avait d’autres membres de ce conseil : Robert Gates, ancien directeur de la CIA ; John Deutch, ainsi que William Perry, ministre de la défense de Clinton (Wired, février 1996, p. 72. Je ne sais pas comment vont-ils faire pour contrôler l’Internet. Ils inventeront n’importe quoi. Mais je doute qu’ils réussissent plus que l’Inquisition ne réussit avec l’Index.

Comment peut-on être républicain ? Ils ne sont pas seulement des ignorants mais des myopes : Hollywood porta plainte pour empêcher qu’on utilisât des magnétoscopes, mais lorsque Hollywood échua dans cette action judiciaire elle gagna : aujourd’hui Hollywood empoche beaucoup plus de par les vidéos que dans les guichets des salles de cinéma.

L’Encyclopédie de Babel

L’Encyclopوdia Britannica http://www.eb.com n’est pas condamnée. Elle dut s’adapter, comme le feront les maisons d’édition qui ne veulent pas périr comme périrent les machines arithmétique de Facit. Elle devint un grand guide de cette indomptable Bibliothèque de Babel qu’est l’Internet (http://www.ebig.com/) — redéfinir le métier de libraire, de Grand Bibliothécaire du Monde, d’Archiviste de l’Athènes Globale. Cet aimable et savant conseilleur, qui dans les rayons poussiéreux nous orientait et nous aidait pour le repérage des feuilles de papier que nous cherchions et qui mieux nous convenaient, sera maintenant plus éclairé, plus patient, plus puissant et devra et pourra être plus au courant de son métier depuis et vers n’importe quel endroit au monde. L’édition de la Grolier Multimedia Encyclopedia en format CD-ROM se branche sur des sources d’information incessamment mises à jour dans un service privé et limité : CompuServe. Pas mal, mais cela sera mieux dans l’Internet, qui est interminable. C’est un devoir. C’est le livre à venir.

Les neveux de Donald Duck appartiennent à un club d’enfants explorateurs qui est doté d’un manuel qui est une encyclopédie infinie. Il est infinitésimalement petit puisqu’il peut être mis dans une poche et sans limites parce que il est omniscient ; il est comme le bon Dieu, il est partout et le sait tout. Un jour, en train d’explorer une montagne mystérieuse, jamais visitée par aucun forain, les Gubis, qui mangeaient de l’or et jamais n’avaient vu d’autres êtres humains qu’eux-mêmes — et encore moins des canards parlants, donnée non pertinente dans le monde surréel de Disney. Les canards qui parlent et qui pensent nécessitent communiquer avec ces aborigènes dont la langue est totalement inconnue des canards. Il trouvent dans leur manuel une grammaire et un dictionnaire complets de la langue des personnes si reculées. Si Colomb avait eu ce manuel... C’est la dérision du projet universel de l’encyclopédie : être une fenêtre sur la réalité sans l’entremise de l’homme : qui est-ce qui écrivit cette grammaire et ce dictionnaire de la langue d’un groupe d’hommes que personne ne connaît ?

L’encyclopédie idéale est celle qui contient toutes les informations qui existent et qui s’écrit elle-même. La Théorie de la Relativité et l’incident de l’ivrogne hier soir à la taverne d’en face. Cette encyclopédie est Dieu Lui-même, puis qu’il connaît tout ce qu’on puisse connaître. Le manuel des tout petits canards est sa caricature. Les vraies encyclopédies doivent choisir l’information et recueillir des données fixées sur des réalités changeantes. L’encyclopédie idéale change avec la réalité. Cela ressemble à la carte de l’empire racontée par Jorge Luis Borges, le plus génial forgeur de caricatures de tous les temps :

...Dans cet Empire l’Art de la Cartographie attint un tel degré de perfection que la seule carte d’une Province occupait une ville tout entière, et la carte de l’empire, un province tout entière. Plus tard, ces Cartes Démesurées ne satisfirent plus et les Collèges de Cartographes ont tracé une Carte de l’Empire qui était aussi vaste que l’Empire et qui coïncidait ponctuellement avec lui. Moins Dévouées à l’ةtude de la Cartographie, les Générations Suivantes Comprirent que cette vaste Carte était inutile et non sans Impiété l’abandonnèrent aux inclémences du Soleil et les Hivers. Aux déserts de l’Ouest persistent des Ruines déchirées de la Carte, habitées par des Animaux et des Mendiants ; dans tout le Pays il n’y a pas d’autre réminiscence des Disciplines Géographiques. [...En aquel Imperio, el Arte de la Cartografيa logrَ tal perfecciَn que el mapa de una sola Provincia ocupaba toda una Ciudad, y el mapa del imperio, toda una Provincia. Con el tiempo, esos Mapas Desmesurados no satisfacieron [sic] y los Colegios de Cartَgrafos levantaron un Mapa del Imperio, que tenيa el tamaٌo del Imperio y coincidيa puntualmente con él. Menos Adictas al Estudio de la Cartografيa, las Generaciones Siguientes entendieron que ese dilatado Mapa era Inْtil y no sin Impiedad lo entregaron a las Inclemencias del Sol y de los Inviernos. En los desiertos del Oeste perduran despedazadas Ruinas del Mapa, habitadas por Animales y por Mendigos ; en todo el Paيs no hay otra reliquia de las Disciplinas Geogrلficas.] Suلrez Miranda : VOYAGE D’HOMMES PRUDENTS, LIVRE IV, CHAP. XLV, LةRIDA, 1658 (Jorge Luis Borges, « De la rigueur de la science », in El Hacedor, in Obras completas, Buenos Aires : Emecé, 1974, p. 847 — traduction RHM).

Afin d’être precise, la carte devait avoir la même dimension que l’Empire, puisque la réduction proportionnelle est déjà une première distorsion de la réalité, bien que congrue. Mais c’était une carte rigide : elle ne reflétait pas les changements continus du temps. Sa nature exhaustive n’était pas seulement spatiale, mais temporale aussi. C’était une carte synchrone, non pas diachrone. Si c’était diachrone ce serait la réalité elle-même, mais cette carte parfaite n’est pas utile ; pour cela on a développé justement les instruments du savoir, cette synthèse intelligible de la réalité, à laquelle on doit une fidélité inconditionnelle. Notre connaissance ne doit pas être la réalité elle-même mais sa synthèse, c’est-à-dire, une distorsion pertinente et utile.

L’Internet commence déjà à approcher le mythe du manuel des canards parlants de Disney, mais sans la caricature : elle commence à être le reflet bouleversant et orageux de la réalité, avec toutes ses contradictions, ses banalités, ses gloires, ses complexités, ses polémiques, ses énigmes, ses misères et ses escroqueries, comme une grande Bibliothèque de Babel. Bientôt tout sera dans l’Internet, et la carte de l’Empire sera non seulement plus grande que l’Empire qu’elle représente, mais plus réelle, puisque l’Internet, comme tout ensemble de signes, ne sera un reflet de la réalité de l’homme, mais une partie stratégique de cette réalité, c’est-à-dire, elle contiendra non seulement les vérités de l’Empire, qui sont peut-être de sa même grandeur, mais il devra s’élargir pour contenir aussi ses faussetés, ses délires, sa structure profonde, son mode d’emploi et sa négation, tout ensemble, y comprise elle-même, la réalité — quoi qu’elle soit cette réalité, quoi que ce soit la vérité ou le mensonge et tout le reste. Elle sera une reproduction de la réalité en elle-même, dans elle-même et sur elle-même.

Les éditeurs de la Encyclopوdia Britannica sont sages, ils lui trouveront une sortie. Maintenant elle est déjà dans l’Internet. Elle sera plus forte que jamais. Comme le livre.

Les signes figés

La lecture n’est pas une activité évidente. Pendant des millions d’années l’humanité vécut sans ce que l’on connaît aujourd’hui comme écriture. Il connaissait, lui, le rythme poétique, la métrique, qui d’une certaine façon aide à inscrire dans l’esprit ce que nous parlons, parce qu’elle facilite le ressouvenir. L’enregistrement permanent, hors du corps, hors de l’esprit, ne fut non plus une tâche évidente et ne fut pas née d’une seule initiative. Elle fut une dérive qui prit des millénaires, jusqu’à ce qu’elle arriva aux alphabètes méditerranéens, asiatiques et aux moyens d’enregistrement autochtones des Amériques.

L’écriture, cette voix sans lèvres, s’installe dans le commercial, mais aussi dans le sacré et dans le légal, qui étaient souvent la même chose. Ce qu’on écrit c’est d’abord ce qu’on doit évoquer : les affaires, la liturgie, la loi. Puisque business are business, puisque les affaires sont impersonnels, on avait recours à l’instance externe des signes inertes pour attester la nature objective du négoce. Là on fait les contes et peut-être les premiers contrats. L’écriture permettait prendre l’autre par sa parole : « Ce papier dit que tu t’es engagé ». ةcrire permettait, en plus, pour invoquer les entités supérieures ; alors Dieu s’adressait à nous par écrit. Moses attestait sur des tablettes la parole écrite de Dieu, qui était éternelle, permanente, précise, immobile, comme l’écriture — l’écrit était une preuve que la parole divine était éternelle et celle-ci était le constat que ce que l’on écrivait vivrait jusqu’à la fin des temps, avec la perpétuité de la pierre et le bronze. Les paroles sacrées étaient si fortes qu’elles pouvaient graver la pierre ou mouler le bronze pour s’y inscrire pour toujours. Sans abécédaire il n’y avait pas des Tables de la Loi. Et, enfin, conséquence du premier contrat, l’écriture permettait attester les normes communes qui régissaient la vie sociale. Cela est dit par l’écrit, il n’y a pas de façon de le désavouer, quia verba volant, scripta manent (’ puisque les mots volent, pendant que les écrits persistent ’).

L’écriture était un constat, une vérification. D’où venait le prestige de l’écrit, voire la permanence, l’éternité, ce qui transcendait la mort et l’individu, traversait et tissait les temps. Hérodote n’était pas possible sans écriture, l’histoire cessa d’être allégorie, bavardage, légende, mythe, terreur des arcanes, pour devenir chronique laïque, référence indépendante. Parce que la parole a ces deux pouvoirs : l’un sacralise, fixe la parole de Dieu ; l’autre rend séculier. L’histoire cessa d’être épique et devint la relation sans solennité de la chronique pour se faire journalisme quotidien et cordial.

La science fut possible elle aussi. C’est-à-dire, le savoir qui s’assied pour durer comme une perle tissée dans la ligne de l’écriture, qui était une sagesse transcendantale dans l’espace et le temps. La science, cela s’écrit ; la superstition, cela se dit. On achète un traité de biologie moléculaire, tandis que personne n’achète un manuel de superstitions puisque la superstition n’ose pas dire son nom. On écoute et repète les superstitions sans des prothèses alphabétiques. Elles n’ont pas le privilège ni le prestige du signe millénaire qui nous informe que la terre est une boule ou nous parle de la structure chimique des hormones.

Les premiers mots écrits, inscrits, sur des pierres, sur du bronze, sur des parchemins, des papyrus, du papier, étaient magiques. Lire était apprendre à parler encore une fois, quand l’enfant trouve un jour la magie de prononcer « eau » et obtenir qu’on lui donne en effet de l’eau. Lorsque quiconque écrivait quelque chose, cela prenait l’allure d’une proclamation, d’une instance supérieure, impartiale, externe, transcendantale — inhumaine en somme ; c’était un autre qui parlait. ةcrire était inscrire.

Mahomet respectait les juifs et les chrétiens parce qu’ils avaient des livres. Il les appelait « les hommes du Livre », qui pour la plupart était le même. Il les respectait parce qu’il en avait un, le Coran, qu’Allah lui avait révélé en personne. S’il n’avait pas eu l’écriture il aurait dû l’inventer. Autrement dit : Mahomet fut possible parce qu’il y avait l’écriture. Autrement la parole d’Allah aurait péri dans les oreilles des quelques prosélytes qui étaient à la portée de la voix de Mahomet. Avec un livre, par contre, la parole d’Allah circulait par le monde connu : les dieux parlent avec la dernière technologie. Maintenant ils parlent à travers l’Internet, où fourmillent toutes les sectes. Le Christ, dit on, écrivit seulement quelques mots sur le sable, mais il eut des apôtres qui étaient prodigues dans la gestion des signes rigides. Il eut la même fortune de Socrate, qui eut des disciples qui écrirent ses dires — réels ou convenus — pour aller au delà l’espace et le temps, jusqu’à l’Internet, où Platon parle, ainsi que tous ceux qui ont écrit et encore écrivent.

L’écriture, donc, nous donna le commerce, la religion, la loi et la science. Elle était si sérieuse que Platon en était alarmé, d’abord parce que ses signes étaient trop rigides ; et parce que paradoxalement ils étaient mobiles et pouvaient glisser les idées qu’ils invoquaient vers des gens qui n’avaient pas les privilèges bien gagnés du savoir. Voilà ce qu’il dit à Phèdre :

C’est une chose terrible, Phèdre, cette ressemblance entre écriture et peinture que les créatures de celle-ci se présentent comme des choses vivantes, mais si on leur pose une question elles se taisent avec un grand et solennel silence. Les mots écrits font de même : on croit qu’on comprend ce qu’ils disent. Mais si, dans l’intention d’apprendre, vous leur demandez quelque chose de ce qu’ils disent, ils indiquent toujours par des signes une seule et même chose. Une fois écrit, tout mot roule dans tous les sens, vers les connaisseurs de même que vers ceux qui ne s’intéressent pas à lui. Il ne sait pas à qui il doit se dire et à qui il doit s’occulter. On ignore si on l’utilise d’une façon adéquate, si on la calomnie contre la justice, elle a besoin de soutien paternel puis qu’elle ne peut s’aider ou se défendre par elle même (Phèdre, § 275d).

Le mot nécessite donc des contextes institutionnels qui le protègent et l’interprètent : l’académie platonicienne, le lycée aristotélique, des églises, des partis politiques, des sectes, des universités, des tribunaux, des bibliothèques, qui prennent en charge les signes figés. L’écriture est donc le socle du pouvoir. Celui qui a les écrits en son pouvoir contrôle les mots clés qui gère et tissent ses biens, sa foi, son savoir, sa légitimité. Il y en eut — il y en a ! — qui retiennent les écrits dans leur esprit scolastique, et apprennent par coeur les textes transcendantaux, les signes inanimés. Cela leur accorde du pouvoir, du fait que à travers leur voix circulent les mots les plus puissants. Ces sont des « mots divins », surtout s’ils sont dits en latin, qui est une lange inanimée qu’on ne connaît pas par l’écrit, puisque personne ne cause plus en latin dans les rues, dans les places et dans les cercles de commères. Mais s’ils ne sont pas en latin, ils doivent être des mots recherchés, tirés des livres, et l’on parle donc que la contraction du marché a été provoquée par l’inélasticité de l’offre, on déclare que les logiciels résidents ont de conflits sur la mémoire volatile haute, etc. Ces sont des mots généralement incompréhensibles pour ceux qui n’ont pas lu les livres appropriés, ces sont des mots du pouvoir de par leur accès aux livres ou aux personnes qui en ont accédé.

Plus tard l’écriture, qu’on faisait avec des lettres — des literو —, devint justement de la littérature, et l’on étudie donc des « lettres » dans quelques universités, c’est-à-dire, le domaine du mot qu’on écrit à de fins esthétiques. Cela fut d’abord la seule transcription des locutions anciennes et primordiales, et l’on copiait Homère et la Chanson de Roland. Cela fut par la suite le métier même d’écrivain, ou bien c’était le scribe, le scriptor, l’auctor, l’auctoritas, qui griffonnaient sur un bureau — sur un scriptorium — et qui composait ses mots par lui-même pour nos raconter des histoires ou se dicter lui-même les poèmes de son inspiration.

Et, en fin, maintenant la lecture est banale aussi : des manuels du tiercé, la presse de bavardage ou des sports, des mots croisés, du mot d’esprit fade, des bandes dessinées de Superman, de la pornographie, de tout ce que les Rolling Stones appellent des « journaux d’hier ». Ce sont des écritures qui défient et indignent les intellectuels parce qu’elles sont le désaveu de la transcendance du mot, qui est l’essence de l’écriture, de laquelle les intellectuels prétendent être les veilleurs, les sentinelles et les curateurs, bien que ce mot banal soit là conservé et figé dans les collections des bibliothèques à jamais. C’est en tout cas notre but, to the last syllable of recordèd time, ’jusqu’à la dernière syllabe du temps enregistré’, disait Macbeth. Ou « tant que la langue vivra », comme disait Flaubert.

Qu’est-ce que lire ?

Lire est donc, lorsqu’on s’affranchit du mot banal, constater les entités hautes, transcendantes, monumentales. Songez à cela : il s’agit de Dieu, entre autres. Ce qui compte (le commerce), ce qu’on professe (la religion), ce qu’on sait (la science), ce qui est beau à dire (la poésie, la littérature). Lire c’est communiquer avec les grands esprits, se jeter vers le haut, vers des destins qui parcourent des temps éternels et les espaces vastes.

Lire est enfiler une communion avec l’humanité plus grande possible, celle qui vécut il y a des milliers d’années, celle qui habite à l’autre côté de la planète, celle qui vivra au futur, ce temps qui nous embarrasse et nous accable avec son silence étourdissant. ہ cette humanité future nous voulons laisser le témoignage de notre expectative, notre version de la vie pour orienter ces gens là et afin que cette foule de l’avenir nous remplace en la recherche troublée du sens suprême. Lire est déchiffrer et s’approprier du plus distant, du plus composé et du plus ambitieux.

Lire est religion, dans sa racine religio, ’ lien ’, ’ se relier ’, comme des bateaux amarrés à un port commun. Voilà pourquoi la religion est autoritaire et meurtrière, de par sa pure anxiété de voir les hérétiques s’éloigner tout cavalièrement vers des modes vilains de la foie ou de percevoir les païens s’entêter à refuser mon arrangement avec Dieu, qui qu’Il soit, cet entichement à un sens grandiose, babylonien, olympien et donc irrécusable. Peu importe que ce soit un petit groupe d’hérétiques et de païens qui persistent à ne pas vivre Dieu comme moi. Voilà la racine historique et perpétuelle de toute lecture : volonté de religio totale avec l’humanité totale, entière, intégrée dans une religio une et unique. Lorsque je lis je m’enfonce dans une copulation complète et définitive. Voilà pourquoi j’exècre et m’inquiète par les livres que je trouve faux ou trompeux, parce que pense qu’ils détournent la grande humanité que je veux avec moi, pour tenir ferme ensemble, sans cette solitude décourageante face au vaste silence de l’univers, cette cruauté maximale de l’existence. Voilà donc ma joie illimitée devant le livre que je trouve vrai, parce qu’il m’épouse dans une copulation heureuse, définitive, complète, avec un autre esprit qui découvrit la vérité pour moi et pour tous. Il lutta et vainquit pour tous. Le livre que je trouve vrai me fait sentir moins seul.

Peu importe se tromper de cette façon. Peu importe qu’on se trompe à la grande à lire le livre mauvais et écervelé, parce qu’on pencha pour le grand et l’imposant, le fastueux, le vaste, le splendide, le magnanime. On ne se résigna à être ce qu’on était, comme Phaéton, comme Icarus, qui voulurent s’envoler avec le Soleil et jusqu’au Soleil, respectivement. Peut-être on professe une doctrine erronée, une théorie égarée, un principe détourné du vrai... mais si on les trouve dans un livre ils doivent avoir une certaine dignité, qu’on partage. On ne périt pas au coin de la rue familière, on périt dans les Mers du Sud, dans la Mer des Sargasses, dans le Yukon. On périt, bien sûr, mais on voyagea assez loin, comme Icarus, comme Phaéton. Ce ne fut pas avec une idée banale qu’on se trompa, avec un parler de bistro ensommeillé, mais avec des tables de matières, des illustrations, des citations en latin ou en grec, et avec des idées éclatantes, longuement méditées. Pour cela on compte sur le prestige intacte du livre en papier, pour soutenir quoi que ce soit qui le remplit.

Mais... si on touche au but ? Si le livre qu’on lit dit la vérité ? Voilà l’énigme de la Bibliothèque de Babel ou de la Bibliothèque Totale de Jorge Luis Borges : dans un livre on pourra trouver sa pierre philosophique personnelle, dans un passage subreptice des millions des livres il doit y avoir un concept qui nous tourne dessus dessous, qui change le cours de notre vie ou de plusieurs vies ou de toutes les vies de l’humanité : « Un fantôme parcourt l’Europe, le fantôme du communisme », « Laissez les enfants venir à moi », « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », « Dieu est mort »... Ce sont des grands mots et des grands sujets, les grands instants de lecture qui peuvent récidiver un jour, on ne sait jamais dans quelle direction, vers quel destin final. Et, pourquoi pas ?, peut-être les ésotériques ont raison, peut-être il y a un mot définitif, celle qui enferme la clé de voûte de l’univers, peut-être le nom de Dieu, ou de Satan, ou ton nom secret et vrai.

Espèces de lecture, espèces de lecteurs

On peut donc lire pour s’informer, pour s’amuser, pour connaître les mots de Dieu, pour comprendre la nature intime de l’univers, pour apprendre les nouvelles de sa tante, pour se renseigner sur la vie privée de Claudia Schiffer, pour faire une réparation de son automobile, pour instruire son ordinateur, pour savoir de quoi l’accuse-t-on, pour savoir si sa bien aimée l’accepte, s’il signe ce contrat, pour pleurer pour Père Goriot ou rire de Tartarin.

Nous lisons tous, même les illettrés. Mais pour ceux-ci lire est une chose « naturelle », c’est-à-dire, ils ne font aucun effort : ils ne lisent pas des lettres, mais ils lisent comme tout le monde, comme lit l’humanité illettrée pendant des millions d’années : ils lisent des visages, des apparences, des gestes, des vêtements, des vestiges.

Nous, lecteurs de signes figés, des lettres, nous savons que cela implique du travail, qu’il faut apprendre à rester immobile pendant des heures, jouissance insolite celle de lire qui exige de l’inertie ! Voilà pourquoi les saints pensent que la lecture est une chose spirituelle, qui demande l’impassibilité corporelle afin de faire reigner les signes dans notre esprit. Il faut se figer comme les signes. L’analphabète croit que c’est de la magie, comme l’indigène des Amériques qui mit une Bible sur son oreille afin d’entendre le mot de Dieu et le rejetta parce qu’il n’ecouta rien (John Wilkins, Mercury. The Secret and Swift Messenger, Londres : Nicholson, 1707, p. 3-4). Une dame analphabète va chez l’oculiste, celui-ci lui dit qu’il lui prescrirait des lunettes « pour lire ». Un jour après elle les retourna.

— Ces lunettes-ci ne servent à rien. J’ai essayé de lire le journal et je n’ai rien compris.

L’anecdote est significative, comme celle d’un analphabète qui me dit un jour : « Je n’ai jamais appris à lire parce que je n’ai pas compris alors qu’une lettre parle à l’autre ». Peut-être cet illéttré aurait pu être un poète, puis qu’il discourait avec tant de beauté sur son incompétence poète par écrit, je veux dire, puisque de pur fétichisme de la lettre je finit pour croire que la poésie consiste seulement à des lettres et de l’encre.

Mais les lecteurs peuvent être très divers. C’est-à-dire, entre celui qui lit comment réparer son automobile et celui qui lit comment doit-on laisser tout espoir aux portes de l’Enfer, il y a des abîmes insondables. Voilà pourquoi les lecteurs se classifient d’après leurs lectures. Dis-moi ce que tu lis et je te dirai qui tu es. Et dis-moi ce que tu ne lis pas et je te dirai aussi qui tu es.

Nous pouvons lire certainement plusieurs choses, mais c’est vrai aussi que nous spécialisons dans certaines choses. Principalement, peu importe quon ne lise pas ce genre de textes en exclusivité. Voilà pourquoi nous sommes des avocats, des médecins, des poètes, des photographes. Ou nous sommes des ignorants sans affiliation professionnelle. Parce qu’il y aura toujours non pas un livre, même pas des millions des livres, mais plusieurs espèces de livres qu’on ne lira jamais. Qu’ils soient sur la thermodynamique, sur les cultes d’Osiris, sur l’histoire d’un phalanstère insondable, sur l’histoire sans fin ou sur le livre à venir. Des livres dont on ne connaîtra pas même leur existence et dont la structure nous sera inconnue à jamais. Parce que lire n’est pas seulement parcourir les lignes de signes figés d’un livre quelconque, mais se mêler dans son entrelacement avec tant d’autres et voilà la raison que les livres se remettent les uns aux autres, se parlent les uns les autres, comme les lettres. Voilà pourquoi ils sont religio.

Les livres furent toujours de l’hypertexte parce qu’on n’a jamais connu un livre isolé, un livre solitaire est inconcevable. Voilà pourquoi ils vivront pleinement dans l’Internet, où ils peuvent se relier entre eux d’une manière plus rapide et plus vaste. C’est ce qu’on peut appeler la triple articulation, analogue à la double articulation du langage, d’abord celle des lettres entre elles, ensuite celle des mots entre eux et finalement l’articulation entre les livres, ces collections de mots, des idées et des images. Parce qu’on n’arrive à un livre par hasard, il y a toujours un itinéraire entre un livre et l’autre, bien que ce soit tortueux et précaire.

Cet ordre culturel dans lequel se tissent les livres doit être notre but lorsque nous apprenons les jeunes à lire, au lycéen, à celui qui arrive sans prévention à l’école ou à l’Internet, sans savoir qu’on a pour lui cette batterie de savoirs et de ressources, afin de l’organiser comme lecteur, afin de l’affilier à un monde de lectures, et afin qu’il sache juger les sens plus purs des mots de la tribu. Ceux qui lisent sans bien connaître ce parcours lisent en court circuit et ils ne comprennent rien. Mais les livres se parlent et s’expliquent les uns les autres, ainsi qu’ils s’ignorent, se nient et se contestent les uns les autres. Cette grande multitude des voix, ce choeur tonitruant et des fois cacophonique nous traîne de saut en sursaut dès les peintures rupestres — cette première tentative de figer le flux de la réalité à travers les signes figés — jusqu’au traitement de textes. Il y a au seuil de la Bibliothèque de l’Université Centrale du Vénézuéla une grande pierre avec des inscriptions que fit un indigène inconnu et que personne n’a déchiffré depuis. José Vicente Abreu écrit un texte sage et beau dans lequel se désigne cette énorme pierre comme le premier livre de cette bibliothèque, exposée là au seuil pour attendre le regard lucide qu’un jour, peut-être, décodera pour tous ce qu’ils disent et les relie au reste du torrent verbal de l’humanité. Ce livre est illisible parce qu’il n’est pas relié à aucun livre. Nous sommes tous des romantiques devant cette roche incompréhensible.

Le futur appartient à l’écrit. L’idée de l’audiovisuel en expansion, qui tout couvrira et tout suffoquera dans un enfer de télévision idiote et des vidéogames agaçants, n’est pas notre seule perspective. La parole, et la parole écrite, continue à être le destin humain, qui, s’il n’est pas sur le papier, il sera maintenant sur les écrans des ordinateurs. Jamais comme dans cette époque la lecture ne fut si nécessaire. Jamais on ne lut autant. On a besoin d’une vie tout entière, et même plus d’une vie, pour lire les nouveaux romans qu’on publie en une seule année dans le monde entier. Pendant la période des bibliothèques médiévales il ne fallait qu’un groupe de spécialistes fût capable de lire pour que le monde marchât. Même le roi pouvait être analphabète. Mais aujourd’hui, avec l’expansion du secteur tertiaire de l’économie, où se trouvent la production, la circulation et la reconnaissance de l’information, tout cela est dans l’écriture. Nous ne savons pas combien vivra le livre en papier, mais on sait que ce sera pendant peu de temps, et on sait aussi que le monde humain n’est pas possible sans les livres, bien qu’il ne soient en papier.

Mais est il nécessaire qu’ils soient des livres ? Il est vrai qu’un livre est une collection figée de signes figés avant l’alphabet, le papier, la presse, l’Internet. Il est vrai qu’avant les lettres on écrivait sur la mémoire. Il est vrai que ce sont tous des livres, dès le tract jusqu’à l’Encyclopédie. Mais dans l’un et l’autre et pour le torrent électronique il peut y a voir une masse de miettes de texte, des inventions, d’autres modes du verbe et de faire des signes, qui ne sont tous des livres — les intellectuels pensent qu’il n’y a rien hors les livres, ils sont des fétichistes du papier qui ont fait de l’intelligence une sottise. L’homme est capable de beaucoup plus et il réfugia la poésie et tout parler et presque tout signifiant sur du papier taché d’encre parce qu’il ne put trouver, jusqu’à l’Internet, un moyen plus digne et constant. Mais il y a aussi la peinture, la photographie, le cinéma, la tapisserie, l’affiche, le fresque, le vase, le vêtement, la cérémonie, le théâtre, le rite, le geste — il y a un mode de signes hors le papier qui en est, en tout cas, un pauvre moyen de le reproduire. Chaque fois qu’on trouve une nouvelle technologie pour installer un système de signes, on ouvre une nouvelle perspective pour l’expression, dès les peintures rupestres jusqu’aux multimédia. Les uns ont inventé la tapisserie, d’autres l’émail, encore d’autres les pyramides, le bronze ou la taille de pierres et il y en eut un qui sermonna une pierre qu’il avait converti en Moses : Allora parla ! Voilà comment les pierres apprirent à causer avec les gens. Pas tout n’est livre. Il y a d’autres modes et des moyens de dire et dans le champ de l’expression aucun coup de dés n’abolira le hasard. Dans la parole elle-même il y a d’autres possibilités, qu’on entrevoit maintenant, l’e-mail, la page WWW, pour l’instant. Il y aura beaucoup plus dans les multimédia et dans les dictionnaires et les encyclopédies électroniques. Il suffit que l’imagination ne s’enferme dans les livres, qui deviennent des prisons de la pensée quand on les métamorphose en des fétiches. Un livre est une ressource formidable pour amplifier la pensée, mais s’il devient une fatalité incontournable il se fait cachot de l’esprit.

La autoroute

Le vice-président des ةtats Unis, Al Gore, dit que la politique présente de l’information est comparable à celle qu’il y eut jadis pour la production agricole. Elle pourrait dans des grands dépôts pendant que les gens mouraient de faim ailleurs. Actuellement il y a des grands dépôts d’informations qui n’arrivent pas aux intéressés. Dans quelques aires, dit Gore, l’information se multiplie par deux chaque six mois. Voilà donc qu’il propose d’appeler exformation cette information sans destinée. Pas mal pour un vice-président (Al Gore, "Infrastructure for the Global Village", Scientific American, septembre 1991).

L’Internet est la première institution anarchique réussie de l’histoire. Ce réseau mondial des réseaux d’ordinateurs, n’a pas de gouvernement. Il ne peut pas l’avoir d’ailleurs. Il suffit qu’il y ait deux ordinateurs branchés entre eux pour qu’ils établissent un réseau qui ne peut pas être contrôlé. Et dans l’Internet il y en a des centaines de milliers chaque mois.

Paradoxalement l’Internet surgit comme un projet du Ministère de la Défense des ةtats Unis pour le cas d’une attaque nucléaire : ils nécessitaient un réseau de communications sans centre, un mode de continuer à opérer depuis plusieurs points à la fois après que le contrôle central serait détruit. Une institution anarchique — si l’on peut l’appeler ainsi — produite dans les casernes. La dialectique existe bien.

On peut travailler chez soi avec des copains qui sont sept à Singapur, deux à Cochabamba et quatre à Billancourt. Les restrictions d’immigration n’auront pas de sens dans ce réseau international. Comment requérir licence de travail à un traducteur sénégalais qui travaille pour une société de Paris, par l’intremise d’un intermédiare à Haifa ? Il se doit au fait que la plupart de l’économie est liée à l’information. La manufacture et l’agriculture emploient, ensemble, moins de travailleurs que les activités qui produisent et manipulent l’information.

Rip van Winkle en 1997

Quelles seraient les tecnologies actuelles qui seraient inconnues d’un Rip van Winkle des années ’50 ? En faisons l’exercise, en faisons la liste, en séparant celles qui s’embellirent superficiellement, comme l’automobile et les appareils domestiques. Je ne tiendrai pas compte des changements éthologiques, dès les Beatles à la minijupe, en passant par la littérature latinoaméricaine, le nouveau roman, la chute — peut-être pour peu de temps — du communisme soviétique et ses entreprises filiales et l’insumission des opprimés — femmes, minorités etniques, jeunes. Tels aspects ne font partie du présent travail parce qu’elles n’ont pas été provoqués ni par l’Internet ni par ses développements similaires. En voici donc la liste :

* Contraceptifs. * Arts graphiques : profusion et qualité de la couleur. * Assistants digitaux personnels. * Avion à jets. * Calculateur électronique. * Cassettes d’audio. * Cellules solaires pour la génération d’electricité. * Ruban digital d’audio (DAT — digital audio tape). * Ordinateur personnel — les mainframes existaient déjà. * Fibre optique. * Photocomposition et dessin graphique électroniques. * Polycopie electrostatique type Xerox. * Photographie et peinture digitales. * Ingéniérie génétique. * Laser. * Navires spatiales. * ةcrans à crystal liquide. * Montre digitale. * Robotique. * Satellites artificiels, y compris le satellite géostationnaire de communications. * Téléphonie cellulaire, composition directe de longue distance. * Télévision en couleurs. * Magnétoscope professionnel et caméra de télevision domestiques.

Le reste des tecnologies sont les mêmes que Rip connaissait avant de s’endormir — sauf des rafinements presque toujours dus à l’electronique :

* Poterie. * Agriculture. * Ascenseurs. * Automobiles. * Cinéma. * Aliments synthétiques. * Connaissances et tecniques médicales. * Appareils électrodomestiques. * Lumière électrique. * Métalurgie. * Machines à écrire électroniques. * ةtoffes synthétiques. * Plastique et d’autres matériaux synthétiques.

Sauf des tecniques comme les contraceptives, la couleur graphique, les jets et quelques térapies, presque tout le reste a été produit par l’électronique — et même les autres sont influencés par cette tecnologie universelle. Quant aux autres développements : l’ingéniérie génétique est encore un projet plein d’espoir et de terreur. L’énergie atomique est en général celle qui commença à Hiroshima et devint plus mortifère et par moments pacifique pendant les annés ’50 de notre Rip conjectural. Les progrès des tecnologies non électroniques sont comme le télescope de Galiée : il continue à être le même, mais avec un raffinement optique.

Des quatre développements scientifiques plus stratégiques de cette deuxième moitié du siècle (cybernétique, énergie atomique, des contraceptifs et ingéniérie génétique — sur le déficit théorique-doctrinnaire-déontologique je prépare un livre, cf. La ciencia ha muerto, ،vivan las humanidades ! ’ La science est morte, vivent les humanités ! ’ ; je le publierai comme hyperlivre sur l’Internet), la cybernétique a été celle qui a avancé le plus vite, parce qu’elle a été poussée par les avances de l’électronique, cette intelligence de l’électricité, qui est énergie, qui est masse, qui est matière — comme le cerveau. Le transistor, les états solides, les microfiches ont déclenché une croissance exponentielle de l’intelligence électronique, l’intelligence de la matière, jusqu’à devenir des prothèses cérébrales, comme les ordinateurs. Celles-ci nous étonnent d’abord et puis nous font rire à considérer leur état à peine dix années déjà, de même qu’on rira d’ici cinq ans de celles qui nous époustouflent aujourd’hui. Mais c’est nous qui devons être l’objet de cette hilarité, nous devrions nous marrer de notre naïveté, mais toujours et non pas seulement aujourd’hui, depuis cet étonnement quotidien où l’on a vécu à partir du moment où Steve Jobs et Steve Wozniak amoncelèrent le premier ordinateur personnel pratique, l’Apple I, là-bas, dans leur garage légendaire.

L’ordinateur personnel transforma le travail et promet de transformer la civilisation : la science, l’information, les média, la narration, la littérature, les arts, la socialisation, les rapports personnels, la vie sexuelle, le commerce, l’industrie, les divertissements, les villes, l’éducation, l’imagination, l’intelligence — les moyens et les modes de tout. Le premier pas fut le premier ordinateur Apple I, le deuxième l’Internet. Le reste sera le rythme quotidien ahuri.

Amérique latine : une province de l’Internet

Ce n’est pas par hasard que le premier hypertexte soit un roman latino-américain : Marelle, par l’écrivain argentin Julio Cortلzar. Elle présente deux parcours de lecture, avec des liaisons internes. Il y a un pareil système dans عltimo round du même auteur. C’était le meilleur hypertexte possible sur papier. Peut-on songer à ce que Cortلzar aurait fait avec un logiciel d’hypertexte comme HyperCard ou Netscape ? Songez à ce qu’il aurait fait avec le Hypertext Mark Up Language (HTML) — le langage d’hypertexte des pages WWW.

L’Amérique latine est la région la plus universelle du monde. Au lieu de nous demander quelles cultures y ont leur logis, il vaudrait mieux faire l’énumération des cultures qui n’y ont pas encore trouvé leur territoire de fertilisation mutuelle. Dans la musique métisse de l’Amérique latine s’aiment toutes les racines humaines dans la copulation la plus universelle et la plus passionnée depuis l’apparition de l’humanité au Kenya. La musique de l’Amérique latine a toujours été ce qu’à présent on appelle « fusion ». L’Amérique latine est donc la place où l’humanité a récupéré son unicité. Lorsqu’un latino-américain veut plonger dans presque n’importe quelle culture il n’a qu’à regarder dans soi-même. « Homo sum ; nihil humani a me alienum puto », disait Térence, ’ je suis un homme ; rien de ce qui est humain ne m’est étranger ’. Cela pourrait être notre devise. Mais nous ne sommes pas tout simplement des européens, des africains ou des aborigènes, nous sommes plutôt « un petit genre humain », comme le disait Simَn Bolيvar, le libérateur du Vénézuéla (voir Carta de Jamaica ’ Lettre de la Jamaïque ’). Nous sommes plus que la addition simple de nos éléments. Les européens et les américains du nord sont des provinciaux, comme l’a déclaré le Prix Nobel colombien Gabriel Garcيa Mلrquez. Les touristes des ةtats Unis se baladent dans les régions les plus lointaines du monde à la recherche d’un McDonald. Ils ne regardent presque jamais un film produit hors des ةtats-Unis. Parlez avec un français cultivé et, mis à part deux ou trois noms universels obligés — Shakespeare, Cervantès ou Dante —, il ne vous parle que des auteurs français. Parlez alors avec un latino-américain cultivé et vous trouverez un caravansérail mondial. Songez à Julio Cortلzar, à l’argentin Jorge Luis Borges, au mexicain Alfonso Reyes, au cubain Alejo Carpentier. Rien de ce qui est humain ne leur est étranger. Ils sont des intellectuels universels. Tant que le vénézuélien Francisco de Miranda était un homme d’état oecuménique, qui a participé ل la naissance des ةtats Unis, ainsi qu’à la vie politique de l’Angleterre, de la Russie, du Vénézuéla, et qui a été l’un des héros de la Révolution Française, son nom est inscrit sur l’Arc de Triomphe à Paris.

On peut donc arriver à la conclusion que l’Internet peut être une province latino-américaine dans la mesure où les connections qu’elle fait possibles s’envolent au dessus des frontières et vous placent partout et nulle part en même temps. Souvent nous ne savons pas si les personnes avec qui nous échangeons de l’e-mail sont des blonds, des jeunes, des gros ou des algériens. Quelquefois nous ignorons leur sexe et leur âge. Il y a des racistes dans l’Internet, bien sûr, mais je me demande comment peuvent-ils éviter qu’un juif taquineur se mêle parmi leurs messages.

Il est vrai qu’il y a des limitations pour l’Amérique latine dans l’Internet, surtout de nature économique. D’après les Nations Unies, la moitié de l’humanité n’a jamais échangé un coup de fil. D’après la même source, seulement en Italie il y a plus des postes téléphoniques que dans l’Amérique latine tout entière. Mais le coût relativement bas de l’Internet permettra à l’Amérique latine d’y entrer en force pour conformer et confirmer sa nature de « race cosmique », sa condition d’espace pour tous, pour donner à l’humanité des leçons d’humanité. Mais à condition que l’Amérique latine s’aperçoive de son universalité, dépassant ses propres obstacles, auxquels elle se heurte parce que l’Amérique latine se refuse à percevoir sa propre spécificité, qui est, paradoxalement, l’universalité. L’Amérique latine a raté la Révolution industrielle. Mais elle pourraient bien conduire la prochaine aventure de l’humanité. L’Europe a appris à l’humanité à être comme l’Europe, alors que l’Amérique latine est en mesure d’apprendre à toute l’humanité à être comme toute l’humanité.



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