De quel droit des personnes comme vous et moi osent-elles nous interdire d’écrire, de lire, de voir, de réfléchir ou de penser sur un quelconque sujet. De quel droit peut-on m’interdire de lire le marquis de Sade ou Hassan El Banna ou Roger Garaudy ou Salman Rushdies ou Taslima Nasrine ou Nagib Mahfouz ou Michel Houellebecq ou Oriana Fallaci ? personnellement je n’en vois aucun et vous ? 

Le danger qui nous guette dans ce 21^ème siècle est que des sujets deviennent tabous à force de censure et d’autocensure par peur de représailles politiques, sociales et juridiques. Dans ce cas la censure serait un terrorisme intellectuel que la société accepte non pas par conviction mais plutôt par lâcheté matérialiste au nom d’un soit disant bien être illusoire. Quelles sont alors les raisons d’un tel terrorisme intellectuel ?   La censure a toujours existé, même si la censure contemporaine a changé d’habit et se réclame d’autres justifications, parce que toutes les sociétés, quels que soient leur forme, sont basées sur des « vérités » et des « idéaux » et rejettent tout ce qu’elles pensent être gênant pour leur existence. L’empire romain avait déjà ses propres censeurs. Magistrats élus, ils avaient entre autre pour mission de rayer certains sénateurs de la liste des candidats en raison de leurs mœurs légères. Dans l’Antiquité, les œuvres du philosophe Protagoras ont été brûlées parce qu’il a osé exprimer des doutes sur l’existence des Dieux. Socrate, déclaré impie et coupable de corrompre la jeunesse, fut condamné à boire la ciguë. Alors que le philosophe était considéré comme un citoyen exemplaire, sa mort fut décidée car il s’opposait à l’idée reçue selon laquelle les astres avaient un caractère divin ou mystérieux, manifestation d’une indépendance d’esprit jugée intolérable et dangereuse dans la société athénienne du 4^ème siècle [1].

Le mot "censure" vient du verbe latin censeo, estimer, penser [2]. Le terme a vraisemblablement glissé vers census, recensement, puis censor, qui est le magistrat de recensement et qui devient ensuite le censeur moral, avec le glissement de la fonction romaine classique. Un censio, est un blâme du censeur, ce qui lie le terme à la critique, l’action de reprendre, aux verbes blâmer, critiquer, interdire, taillader, condamner, excommunier, caviarder. La censure consiste à estimer par un jugement personnel et unilatéral que des propos, des images, des pensées, des évènements sont contraires à la morale, à la religion, aux bonnes mœurs, à la stabilité politique, aux intérêts socio-économiques, etc. et de ce fait sont indignes de parution ou de droit de cité. Symbolisée par une horrible mégère armée d’un immense ciseaux, la censure prend le nom d’Anastasie, ce qui pourrait être lié au pape Anastase 1er ( 399 - 401 ). Ce dernier inaugura la censure religieuse, religion chrétienne, en interdisant la lecture des livres d’Origène qui présentaient une cosmologie jugée non orthodoxe. 

L’histoire de la censure est très étroitement liée au pouvoir religieux, politique, socio-économique, etc. Néanmoins, de tout temps, les modes d’expression de la pensée, sous forme orale, écrite, théâtrale, cinématographique et enfin par l’Internet, ont été plus ou moins limités et toujours réglementés, même dans les démocraties occidentales. La censure est la surveillance exercée par l’ةtat ou le religieux sur les discours tenus en public, les représentations imagées, les publications, le théâtre, les films, les émissions de radio, de télévision et d’Internet ou tout autre moyen de diffusion. Elle contrôle ce qui touche à la politique, l’économie, la société ou la religion. Les conquêtes des Lumières et du Libéralisme accordent le droit aux hommes citoyens d’exprimer librement ses opinions et la liberté de la presse ( Droits de l’homme ). Depuis lors, la censure passe pour une caractéristique des ةtats totalitaires ; toutefois il est vrai que des ةtats libéraux se sont conservés le droit de censurer les médias dans des circonstances exceptionnelles, ةtat de guerre, etc. 

La pensée philosophique a remis en cause l’absolutisme et l’exclusivité du dogme religieux chrétien, a encouragé la mise en place d’un régime de tolérance vis-à-vis des modes d’expression et a rendu plus difficile l’application stricte de la censure. Concrètement, c’est la Déclaration d’Indépendance américaine du 4 juillet 1776 qui marqua le tournant vers la période moderne en affirmant que la liberté est l’un des droits inaliénables de l’Homme. Ainsi, la liberté d’expression devint l’un des fondements les plus essentiels de la démocratie américaine. En France, la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 établit solennellement la liberté d’opinion et d’opinion religieuse et dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi », ce qui interdit là toute censure à la pensée humaine à partir du moment où cette expression s’inscrit dans le cadre de la loi [3].

Aujourd’hui dans les sociétés occidentales, le droit est largement permissif et ne prévoit pas de régime de censure générale ou l’application de peines pénales pour des « délits d’expression », même si des régimes spécifiques d’autorisation subsistent encore, contrairement aux sociétés arabo-musulmanes où la pratique de la censure est générale.

La censure religieuse

En Europe, c’est l’empereur Constantin 1er le Grand qui instaura un régime de censure religieuse, renforcé par l’empereur Théodose Ier. De nombreux ouvrages et manuscrits considérés hérétiques par l’ةglise furent brûlés, et leurs auteurs punis. Cependant, c’est surtout à partir de l’instauration de l’Inquisition au 13^ème siècle que la censure religieuse prit un tour systématique et férocement répressif. Des tribunaux spéciaux, appelés tribunaux inquisitoriaux, furent institués, notamment en Espagne, en France et en Italie ; chargés de réprimer les crimes d’hérésie et de sorcellerie, ils n’hésitèrent pas à prononcer les peines les plus dures à l’encontre des accusés.

La censure religieuse n’épargna pas le domaine de la science, comme en témoignent les condamnations de Copernic (1616) et de Galilée, contraint par le tribunal de l’Inquisition d’abjurer ses théories en 1633. Son rôle principal aura été et reste l’instauration et la confiscation du pouvoir temporel et religieux. Le summum de la censure religieuse a été atteint en 1564 par la publication de « l’index librorum prohibiturum » soit le « Catalogue des livres interdits » qui comporte les philosophes et les auteurs les plus connus allant de Bacon, Montaigne, Descartes, Hume, Heine, Voltaire, Rousseau, Montesquieu, Diderot, Zola, Flaubert, Anatole France, Sartre, Gide, Alexandre Dumas, Victor Hugo, etc... [4].

En terre d’Islam les choses n’étaient guère meilleures et le sort des penseurs et des philosophes arabes n’envie en rien celui de leur confrères de la pensée libre en terre Chrétienne. Au 10^ème siècle Ibn Sina (Avicenne), le vizir protégé par le souverain de Hamadan fut victime des intrigues politiques et emprisonné, pour parvenir à s’enfuir auprès du prince d’Ispahan. La liberté de pensée et de parole de Ibn Rushd (Averroès), 13^ème siècle, en était trop pour le calife Yaqub al-Mansur qui le fait exiler à Fès et brûler toutes ses œuvres.

La censure politique

Jusqu’au 17^ème siècle, la censure, essentiellement d’origine religieuse, ne fit pas l’objet d’une organisation systématique de la part de l’ةtat. Avec l’affirmation de l’absolutisme, qui consiste à organiser et à contrôler le monde des lettres, une véritable censure idéologique vint s’ajouter, sans s’y substituer toujours, à la censure religieuse. Tous les livres et toutes les gazettes devaient faire l’objet d’une autorisation préalable, qui pouvait être refusée par l’administration de façon arbitraire. Il existait un personnage directement chargé de ces autorisations, le directeur de la Librairie, à qui revenait la tâche d’assurer le respect de la censure et dont les pouvoirs en la matière étaient immenses.

Dans les autres pays d’Europe, seules les Provinces-Unies et l’Angleterre pouvaient apparaître comme des terres de relative liberté, même si, dans ce dernier pays, il fallut attendre le 19^ème siècle pour voir les bénéfices de l’acte de Tolérance (1689) étendus aux Catholiques, aux Israélites et aux Athées.

La censure politique consiste dans le contrôle par un gouvernement pour aboutir à une interdiction partielle ou totale de la diffusion de la liberté d’expression dans toutes ses formes, et tous les moyens sont bons : cela peut aller de l’interdiction pure et simple, parfois même à titre préventif, au procès, au licenciement, à l’emprisonnement, à la torture, etc. La censure politique existe depuis les premières prises de pouvoir afin de faire obstruction à l’ouverture de l’esprit des gens. Elle a caché quelques vérités qui auraient mérités d’être dites. La censure politique est synonyme de peur afin de défendre le ou les pouvoirs en place, elle était le propre des régimes fascistes et nazis de l’Europe de l’ouest et des régimes communistes de l’Europe de l’Est ou des régimes militaires de l’Amérique du sud.   Aujourd’hui la censure totale fait partie de l’arsenal répressif des dictatures arabes, musulmanes, africaines et asiatiques où il est réservé à l’ةtat le droit de publier et d’émettre de l’information. Mais la censure peut être absolue alors même que l’ةtat n’est pas le seul émetteur d’informations, elle se traduit par un régime d’autorisation préalable. Chaque éditeur ou producteur doit soumettre à une commission de contrôle son manuscrit ou le texte de son intervention avant sa diffusion.

Une autre façon de pratiquer la censure totale est d’empêcher les organes de presse d’exister. Pour cela, il suffit d’organiser le rationnement du papier et de l’impression, en empêchant une bonne diffusion des journaux. En outre, il est toujours possible d’étrangler financièrement une entreprise indépendante en multipliant les procès et les interdictions de paraître ou en augmentant les taxes et les impôts.

Dans le cas des radios et des télévisions, si l’ةtat peut facilement brouiller les émissions diffusées sur les ondes hertziennes, le développement de la diffusion par satellites rend plus difficile un contrôle précis des programmes. De la même façon, les réseaux comme Internet permettent de faire passer de l’information en échappant à toute censure. Mais peu de gens sont équipés et, là aussi, les ةtats cherchent à limiter la liberté des réseaux. Aussi des pays comme la Chine ou la Tunisie imposent une demande d’autorisation préalable avant toute création de service sur Internet alors que tout l’infrastructure d’Internet est sous leur contrôle total.

La censure est traditionnellement le fait de l’ةtat, c’est en temps de guerre qu’elle opère le plus et le plus ouvertement. Aujourd’hui on assiste dans les démocraties occidentales à la privatisation de la censure qui est le fait des lobby religieux tel que l’association Croyances et Liberté qui cherchent à « protéger et de défendre les Catholiques des atteintes à leurs sentiments religieux ou à leurs convictions religieuses, qu’ils pourraient subir par la voie de la radio, de la presse, du film, de la télévision, de l’image ou de tout autre support », ou l’AGRIF (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française, extrême droite catholique).

Toute religion est par nature une censure dans la mesure où elle interdit l’utilisation de certains mots et images, ainsi que certaines activités, et donc aussi une prise de pouvoir au profit d’une caste, formée de gens qui d’une manière ou d’une autre prétendent imposer leurs vues, leurs règles, leurs traditions aux autres : pouvoir sur les actes et sur les pensées. Les exemples de censures pour raisons strictement religieuses sont nombreux, il suffit de penser au film « La dernière tentation du Christ », cible du terrorisme sacré et au livre les « Versets sataniques » qui a valu une fatwa de peine de mort à son auteur.

D’un autre côté on trouve les vendeurs de la tolérance spécialisées dans les procès contre les livres tel que la LICRA (Ligue Contre le Racisme et l’Antisémitisme) et le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les peuples) qui attaquent les écrits "blasphématoires" ou qui leur déplaisent et qui contribuent activement à la censure d’Internet, au nom de la "tolérance" et de l’antiracisme. Ainsi, la liberté d’expression est interdite au nom d’une vraie-fausse « tolérance » pour limiter la liberté d’expression, dès qu’une production pourrait « heurter des sentiments religieux » ou « attenter à la dignité » d’un quelconque groupe communautaire. Ainsi, la « tolérance » actuellement à la mode, a pour effet d’interdire les vrais débats, et de ne laisser s’exprimer que ce qui ne troublera personne, ni bien sûr « l’ordre public ».

Cependant, La censure ne fait qu’amplifier les conclusions qu’elle veut étouffer et elle ne fait qu’en renforcer l’attrait. Elle ne fait que déplacer la question dans l’espace ou dans le temps mais ne donne jamais de réponse. Aujourd’hui avec la technologie liée à l’Internet elle devient plus que contre-productive, tout le monde peut lire même les livres retirés des ventes et pour lesquels leurs auteurs ont été condamnés, par exemple le livre de Garaudy sur les mythes fondateurs de la politique israélienne [5]. La censure ne fait que casser le thermomètre mais jamais elle n’arrivera à faire baisser la température.

Après avoir évoqué la nouvelle forme de la censure, celle des lobby communautariste et religieux et des vendeurs de la tolérance et sans oublier les autres formes de censure, même si on ne les a pas évoqué toutes, censure morale, économique, en amont ou en aval, pour conclure on peut dire que l’une des principales raisons à la censure réside dans l’absolutisme. Quand le pouvoir est sous l’autorité de l’absolu, qu’il soit religieux, laïque ou autre, ou quand le pouvoir est basé sur une vérité absolue, la censure devient le seul moyen pour se débarrasser de toute confrontation contradictoire qui risque fortement d’ébranler cet absolu que ses représentants essayent de protéger par tous les moyens. En effet, l’absolutisme ne supporte pas la critique et la contestation, il s’oppose aux libertés individuelles et collectives, d’expression, de création artistique et d’association parce qu’il considère depuis son piédestal que les gens sont incapables de penser par eux-mêmes et que tous les hommes ne sont pas aussi « intelligents » et « responsables » que l’absolu censeur. L’absolutisme pense que parce que j’ai lu tel ou tel livre, que je vais obligatoirement adopter les points de vues et les philosophies de leurs auteurs, ou parce que j’ai lu « Mein Kampf » que je vais devenir nazi ou parce que j’ai lu Sade que je vais devenir sadique, ou parce que j’ai écouté les conférenciers de l’extrême droite que je vais devenir raciste.

Ce qui est plus grave est que cet absolutisme et cette attitude de censeur absolu ne sont pas seulement le propre des ةtats mais aussi des groupes d’individus, ou simplement d’individus comme vous et moi qui généralement appellent à la démocratie, tout en oubliant qu’une démocratie ne peut jamais exister sans la liberté d’expression. Pour nous les Tunisiens, notre premier combat contre la dictature et sa politique de censure généralisée ne pourrait se conclure victorieusement sans que chacun de nous ne puisse vaincre la mégère d’Anastase qui est en lui, sinon les dictatures ne feront que se succéder et avec eux la censure.

Fuck la Censure

Kim-Song Man est sortie de prison
Et il y a toujours des prisonniers d’opinion
Malcom X est mort à cause des mêmes raisons
Sarajevo n’est qu’à deux heures d’avion
En Bosnie y’a des camps de concentrations
En cefran y’a des centres de détentions
Si t’es immigré Incarcération
Et expulsion dans le premier avion
La France terre d’asile seulement si tu as le pognon
Et ils en parlent jamais à la télévision
Tout est déformé surtout les informations
Des fois j’ai envie d’prendre un flingue
Et de faire un carton

Fuck la censure
Fuck la censure
Des fois j’ai envie d’prendre un flingue et d’faire un carton

Pour lire la suite [6].