Et le combat continue

Chokri Hamrouni — 2004-11-03T15:28:48Z

« Les lendemains des élections sont toujours difficiles en Tunisie » aime à rappeler Vincent Geisser. Après la bataille politique et médiatique, Ben Ali et ses sbires se redéploient pour gagner la bataille psychologique. Celle qui consiste à achever toute velléité contestataire.

Comme toute dictature, la nôtre remporte souvent ses batailles grâce à l'effet de futilité et d'impuissance qu'elle inculque à ses sujets. Ces derniers abandonnent souvent leur cause par réflexe d'auto écrasement (alinsihak selon Fadhlallah), rendent les armes et se cueillent sans aucune résistance. Montesquieu disait dans De l'esprit des lois : « Quand les sauvages de la Louisiane veulent avoir un fruit, ils coupent l'arbre au pied et cueillent le fruit. Voilà le gouvernement despotique ».

Oui les Tunisiens sont des récidivistes invétérés, ils ont boycotté massivement ces pseudo élections comme ils l'ont fait auparavant. Qui a la preuve du contraire ? C'est la parole d'un fraudeur usurpateur contre la nôtre. Lorsqu'en 1981 les démocrates socialistes avaient crié à la fraude, personne ne les avait cru. Aujourd'hui, les fraudeurs de l'époque viennent reconnaître les faits.

Qu'est ce qui oblige un régime annoncé « grandement vainqueur », témoignage d'observateurs à l'appui, à proclamer un taux de participation humainement irréalisable. C'est la preuve qu'il doute, qu'il tergiverse, qu'il utilise les chiffres non pas pour prouver sa victoire, on le savait déjà, mais pour écraser ses administrés et les « humilier pour mieux régner ».

Il est vrai aussi que personne n'est en mesure de prétendre que les Tunisiens avaient suivi le mot d'ordre du boycott lancé par certains milieux de l'opposition. Toutefois, nous sommes en droit de penser que la non participation de nos compatriotes relève d'une analyse collective (qu'ils se sont dites et partagée au sujet du caractère décadent de leurs politiques). D'où l'esprit collectif de l'abstention, d'où son caractère punitif. Les Tunisiens préfèrent boycotter que de voter pour une opposition de sérail qu'ils savent aussi « pourrie » que ses protecteurs. Qui peut spéculer sur l'attitude des Tunisiens s'il y avait en face du régime une vraie force d'alternance ?

Oui, le message des Tunisiens est un désaveu pour le régime qui a tant misé sur leur mobilisation, mais nullement une déclaration d'amour à l'opposition. Est-ce une preuve de rationalité et de vérité de reconnaître la victoire d'un joueur et d'une équipe qui ont dopé les scores, trafiqué le jeu, corrompu les arbitres et qui plus est jouaient dans leur propre fief ?

Il est de notre devoir de dénoncer cette nouvelle usurpation de la volonté populaire. Si les Tunisiens veulent nous désavouer, ils peuvent toujours descendre dans les rues et crier aux loosers, aux traîtres mauvais perdants.

Au contraire, les Tunisiens n'arrêtent pas de nous donner des signaux.Que répondent certains de nos amis : ils crient haro sur ceux qui refusent de déposer les armes !

Oui Ben Ali est sur les nerfs, oui le régime a déjà mangé son pain blanc et il s'apprête à manger son pain noir. Parce que nous avons tous prouvé notre capacité à construire ensemble quelque chose de bien, parce que nous avons laissé nos travers de côté pour secouer le cocotier. Parce que dans le boycott, comme dans la participation, et comme dans le retrait aussi, les défenseurs de la liberté quels qu'ils soient ont fait preuve d'une dignité qui nous a fait longtemps défaut.

La veille des élections, certains amis en vrais militants se félicitaient de la réussite de leur démarche commune de dénonciation de la mascarade électorale. Stupeur après l'annonce des résultats ! Espéraient-ils dissuader Ben Ali, ou faire descendre les gens dans la rue ?

Mes amis, vous êtes une chance pour notre pays qui se réveille à son rythme après un long sommeil.Soyez plus forts que la déception. Il n'y a pas de répit dans ce combat pour la liberté et la dignité.

Beaucoup de Tunisiens vous diront que quelque chose s'est passé pendant ces élections.Oui, c'est vrai ! Parce qu'en réalité quelque chose s'est passé chez vous, chez nous tous. Nous y croyons. La dictature le sait. Continuons ensemble.

Paris, le 27 octobre 2004
Chokri Hamrouni.

Tunisie Réveille Toi !

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