Tunisie Réveille Toi ! http://www.reveiltunisien.org/ Site d'information et d'opinion sur la Tunisie fr SPIP - www.spip.net De notre manque de civisme http://www.reveiltunisien.org/spip.php?article1004 http://www.reveiltunisien.org/spip.php?article1004 2004-02-25T23:43:59Z text/html fr Horus Légitimité du régime Identité tunisienne Démocratie Civisme Ce qui est patent quand on est tunisien, c'est qu'après quelques voyages et séjours en Occident, on ne peut s'empêcher d'être tenté par des comparaisons entre le comportement social des populations occidentales et celui de son propre pays dit arabe et tiers-mondiste. Le contraste est facile à appréhender. Le comportement au sein de la société occidentale est fondé sur un respect sacré des lois et une considération soutenue des libertés individuelles. L'individu est l'élément central au sein de la société (...) - <a href="http://www.reveiltunisien.org/spip.php?rubrique41" rel="directory">Société</a> / <a href="http://www.reveiltunisien.org/spip.php?mot5" rel="tag">Légitimité du régime</a>, <a href="http://www.reveiltunisien.org/spip.php?mot49" rel="tag">Identité tunisienne</a>, <a href="http://www.reveiltunisien.org/spip.php?mot66" rel="tag">Démocratie</a>, <a href="http://www.reveiltunisien.org/spip.php?mot82" rel="tag">Civisme</a> <div class='rss_texte'><p>Ce qui est patent quand on est tunisien, c'est qu'après quelques voyages et séjours en Occident, on ne peut s'empêcher d'être tenté par des comparaisons entre le comportement social des populations occidentales et celui de son propre pays dit arabe et tiers-mondiste.</p> <p>Le contraste est facile à appréhender. Le comportement au sein de la société occidentale est fondé sur un respect sacré des lois et une considération soutenue des libertés individuelles. L'individu est l'élément central au sein de la société occidentale. La loi étant l'armure qui préserve le contrat social implicitement établi entre individus. Dans nos sociétés, c'est plutôt un modèle patriarcho-familial qui domine. La loi n'est que partiellement respectée et souvent contournée. On pourrait bien évidemment se complaire dans d'interminables discussions critiques du modèle individualiste ou de son antonyme traditionaliste et communautaire. Toutefois, là n'est pas mon objectif. Ce que je souhaite démontrer dans cet article, c'est la différence entre la société occidentale et la société tunisienne ou plus généralement arabe, en termes de relations entre individus et de comportements sociaux. J'essayerai de présenter l'ébauche d'une interprétation critique de ces différences en me basant sur mes connaissances de la société tunisienne.</p> <p>Je tiens à faire remarquer au lecteur que cet essai ne procède pas d'une démarche scientifique rigoureuse. Je ne prétends pas à grand savoir en sciences sociales et politiques. Faute de temps, mon argumentaire ne sera pas étayé de références. L'analyse présentée découle d'une simple intuition selon laquelle le comportement social visible est intimement lié à la nature du système politique en vigueur dans une société.</p> <p>Dans un pays occidental, le tunisien est impressionné par le degré de « civisme » des populations locales. Ce civisme se manifeste par une attitude respectueuse des lois, et une sorte de confiance partagée entre les membres de la société. Certains Tunisiens ont l'habitude de décrire ce genre de comportement comme étant « naïf ». En discutant avec des connaissances tunisiennes résidentes en Europe ou en Amérique du nord, on constate souvent que leurs propos reflètent à la fois un sentiment d'égard, mais aussi de raillerie malveillante envers le « civisme » des populations occidentales.</p> <p>Il m'est souvent arrivé d'entendre des histoires de Tunisiens contournant les lois de leurs pays d'accueil. On appelle ce genre d'attitude : « takhdim moukh » ou « t'kambiss » (trouver des moyens détournés pour atteindre son but). A en croire que le contournement des lois, l'escroquerie et le mensonge, sont des traits caractériels, pour ne pas dire génétiques, des Tunisiens. Il n'en est évidemment rien. Quand je demande pourquoi les Tunisiens se comportent ainsi, les réponses fournies se basent en général sur les arguments récurrents suivants : <br /><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Argument éducatif : une mauvaise éducation sociale <br /><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Argument moral : une défaillance morale (religieuse notamment) <br /><img src="http://www.reveiltunisien.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-32883.gif" width='8' height='11' class='puce' alt="-" style='height:11px;width:8px;' /> Argument historico-culturel : c'est notre histoire et notre culture.</p> <p>Ces arguments ne sont peut être pas totalement réfutables. Toutefois, j'ai toujours eu beaucoup de difficultés à les admettre. D'abord, les tunisiens sont assez éduqués. Le niveau de scolarité de la population n'a rien à envier aux pays développés. L'éducation tunisienne est riche en enseignements civiques, et ne manque pas d'inculquer aux élèves les bases du comportement responsable. Aussi, les tunisiens ont développé depuis quelques temps une conscience sociale et politique satisfaisantes, grâce notamment à l'accès aux télés satellitaires et à une ouverture de plus en plus prononcée sur le Monde. L'argument éducatif ne me semble donc pas suffisant pour expliquer le comportement social des tunisiens.</p> <p>Ensuite, la religion et la morale traditionaliste tiennent encore une place prépondérante au sein de la société tunisienne. On ne peut pas en dire autant des sociétés occidentales. La morale occidentale a été redéfinie par une émancipation des dogmes religieux. « Tu ne voleras point » découle plus d'une conscience civique et sociale que d'un ordre divin. En plus, des exemples de sociétés traditionalistes et religieuses où sévissent la corruption et la déchéance sociale (Iran, Arabie Saoudite, ...) nous amènent à rejeter la thèse du déficit moral et religieux comme explication plausible du manque de civisme dans nos contrées.</p> <p>L'argument historico-culturel tient plus du défaitisme que d'une analyse objective. Nos contrées ont connu par le passé leurs heures de gloire en terme de comportement social. Les historiens reconnaissent en l'empire islamique un degré de développement civique avancé pour l'époque. Nous aimons croire que nous étions à une certaine époque des populations civilisées et respectueuses des lois. Je ne crois pas non plus à l'argument culturel. Il suffit de constater les différences culturelles entre l'Occident et l'Extrême Orient, deux cultures assez différentes, mais qui se rejoignent pourtant au niveau du comportement social et civique exemplaire.</p> <p>On voit donc que les arguments couramment cités pour expliquer le comportement social de nos concitoyens ne sont pas très convaincants. ہ mon sens, les explications se trouvent plutôt du coté du politique. Je suis intimement convaincu que les systèmes politiques, les procédures et structures électorales, administratives et légales au sein d'une société se reflètent immanquablement dans le comportement des individus.</p> <p>Approfondissons cette idée.</p> <p>Le point de différence endémique entre les systèmes politiques occidentaux et ceux des pays arabes, en particulier la Tunisie en ce qui nous concerne, c'est la démocratie. Alors que l'Occident dispose d'une culture démocratique bicentenaire, nos populations ne connaissent du système démocratique que la théorie. Pour réussir, un système politique démocratique nécessite la présence d'une base populaire éduquée. L'éducation produit la conscience de l'individualité, l'individualité éveille le besoin de liberté, ce dernier se manifeste par la prise en main de sa destinée via la participation à la chose publique. Un peuple éduqué finit toujours par imposer la démocratie. Réciproquement, une société démocratique est une société dont le taux d'alphabétisation et le niveau d'éducation de sa population sont assez élevés. La thèse que je défends est qu'une société éduquée, associée à un système politique participatif et transparent, donc démocratique, est fondamentalement civilisée. Par civilisée je sous-entends le concept de civique et non celui de civilisationnel.</p> <p>L'exemple qui me vient à l'esprit est celui de la Suisse. Ce pays est un des rares à promouvoir une démocratie de proximité participative à tous les niveaux. Les Suisses sont appelés à voter en moyenne 6 fois par an, sur toutes sortes de questions qui les touchent, au niveau local, communal, et fédéral. La Suisse qui est un pays unique dans le sens qu'il possède 4 langues officielles, et un mélange ethnique surprenant, aurait pu souffrir d'une perpétuelle violence. Il n'en est rien, bien au contraire, la société Suisse est un modèle de civisme et de promotion des valeurs humanitaires, d'entraide, et de justice internationale. Le visiteur de ce pays ressens facilement le reflet d'une conscience civique aigue, le comportement des gens est empli d'un respect naturel des lois, d'une confiance partagée entre les individus, et d'une honnêteté et courtoisie frappantes.</p> <p>Qu'en est-il de la Tunisie ? Notre pays est une forme d'oligarchie maquillée en pseudo démocratie. Nous sommes soumis à un système stratifié, où la noblesse est constituée d'un groupe de personnes appartenant ou proches du pouvoir. Cette classe supérieure, détentrice de tous les pouvoirs exerce un monopole économique qui la maintient dans sa position dominante. Tous les moyens sont bons pour garder ce pouvoir, et la corruption en est la méthode privilégiée. Le pouvoir de cette « caste » s'étend sur la justice, l'administration, la presse, et tous les contre-pouvoirs éventuels qui risqueraient de la bousculer.</p> <p>En contre partie, le peuple, très éduqué, souffre du manque de possibilités de s'exprimer et de participer à la vie publique. Les Tunisiens, très conscients de l'état de délabrement du système politique, s'en font inconsciemment le prolongement. La corruption endémique au sein de notre société ne trouve pas son origine dans des raisons purement économiques ou morales. C'est simplement le reflet d'un système politique ankylosé, qui perpétue des pratiques indignes d'une société éduquée et culturellement évoluée. Le Tunisien moyen a perdu depuis longtemps toute confiance en ses gouvernants, et il sait pertinemment que seuls les moyens détournés sont aptes à le faire évoluer dans la société. Le Tunisien moyen ne respecte pas les lois, parce qu'il ne sent pas qu'il est intimement associé au processus législatif. Le paternalisme politique qu'on a hérité de Bourguiba reste gravé dans l'inconscient collectif des tunisiens. Les lois et les institutions de la république ne sont pas ceux des Tunisiens, mais celles de leurs dirigeants. Cette « culture » du non respect des lois est transmise entre les générations. Les enfants apprennent très tôt de leurs parents et leur entourage qu'il faut se débrouiller, malhonnêtement, s'ils veulent réussir.</p> <p>Comment s'étonner alors que les Tunisiens ne s'arrêtent pas au feu rouge, ne font pas la file devant les guichets, se bousculent à l'épicerie, trichent aux examens, ne payent pas leurs dettes, soudoient les policiers, piratent les récepteurs satellitaires, fraudent au marché central, montent dans le bus sans payer, détruisent les installations publiques, jettent les ordures dans la rue,</p> <p>Comment s'étonner aussi que les Tunisiens soient influencés par les prêches de Amr Khaled, et retrouvent dans la spiritualité refuge et salut. C'est là un sujet qui mérite à lui seul un autre article.</p> <p>La Tunisie n'est pas l'unique exemple, c'est aussi le cas de la Russie, la Chine, l'Iran, et tous les pays ou le peuple a atteint un certain niveau d'éducation, alors que la démocratie n'y est pas encore complètement instaurée. La démocratie engendre le civisme, et non l'inverse, j'en suis intimement convaincu. Même en Occident, les différences entre les systèmes démocratiques, se reflètent assez sensiblement sur la société. Les pays qui ont le plus de problèmes sociaux sont généralement ceux dont le système politique souffre de lacunes structurelles (Etats-Unis et France, pour ne citer que ces deux là).</p> <p>La démocratie est le seul moyen d'atteindre un niveau de civisme et de conscience sociale comparable à celui des pays occidentaux. L'éducation, seule, est insuffisante. Pour changer une société, il faut lui montrer l'exemple. Si la classe dirigeante est pourrie, le peuple ne se comportera pas mieux. Si le système politique est malade, le peuple s'y adaptera, et saura s'en accommoder. Ce ne sont pas les mentalités qu'il faut changer, mais bel et bien le système. J'ai une confiance, que certains qualifieraient de naïve, en mes concitoyens, et je crois bien que le changement n'est pas loin.</p></div>